Patricia Dao à travers son héroïne qui “regarde droit devant elle” trouve un moyen de lutter contre toutes les “mammasantissima” et leurs chiens de garde. Les yeux de son Anna “brille d’un feu noir, d’un feu noir de Calabre” en un récit intime et universel. Il s’ancre dans la Calabre et ce qu’elle cache encore. Le noir qui y recouvre le corps des femmes est bien plus qu’une couleur : un symbole. Il compose un cairn au milieu des pierres brûlantes et ceux qui les flêchent et qui deviennent des salauds ordinaires — générations après générations.
Intériorisé plus que développé, le trajet d’Anna n’est pas séparable du féminin. Il le métamorphose en rendant sensible une mémoire active où l’héroïne dans sa lutte se pose sans cesse la question : “Suis-je morte ou vivante ?” Elle répond par le second terme en dépit de tout ce qui met en péril elle et ses “sœurs”. Grâce à son personnage la romancière développe une archéologique réaliste et lyrique, elle s’enfonce dans l’immémorial des “lamenti” et d’une religion refuge et mère de tous les vices.
Patricia Dao, Anna, Tim buctu éditions, La Colle sur Loup, 2014, 280 p. — 15,00 €.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’urgence qu’un matin se lèvera sans moi
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Des sans domicile fixe
A quoi avez-vous renoncé ?
A me chauffer correctement l’hiver. Mais aussi parfois à la ponctuation même s’il est difficile de m’y tenir, à cause d’une virgule qui, un jour, voudra avoir le dernier mot
D’où venez-vous ?
Je viens d’ici, juste à côté de chez vous, nous sommes voisins
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Des moustaches : donna baffuta sempre paciuta
Qu’avez-vous dû “plaquer” pour votre travail ?
La centrale vapeur : c’était repasser ou écrire
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
J’adore le petit plaisir, surtout quand il est au singulier : quotidien donc
Qu’est-ce qui vous distingue des autres auteurs ?
Rien. C’est fou comme les auteurs se ressemblent
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Le mur en face de ma chambre d’enfant : incroyablement ouvert à toutes les perspectives.
Et votre première lecture ?
A, O, I, U, E, le livre du CP qui décortiquait les mots si gentiment jusqu’à les faire chanter.
Pourquoi votre attirances vers les lieux italiens ?
J’aime voir combien ont voyagé mes racines.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Classique, mais pas seulement
Quel est le livre que vous aimez relire ?
En ce moment : “Sur les traces de Nives » de Erri De Luca
Quel film vous fait pleurer ?
Le film d’amour, j’adore quand il me fait pleurer
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Tous mes moi(s), et toujours s’engage une vaste discussion
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma mère, parce qu’elle ne savait pas lire
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le corps de l’autre a pour moi cette valeur là
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Question très difficile… Je préfère ne pas en citer pour ne pas en oublier
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Des cartouches d’encre pour mon imprimante
Que défendez-vous ?
La liberté de la vie
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien de particulier. Je suis pleine d’amour, ça m’arrive de le donner à quelqu’un qui n’en veut pas, mais j’en ai vraiment pas besoin pour vivre : de le donner. Ok : je suis une sacrée égoïste.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
J’adore le mot oui, trois voyelles qui se dévoilent comme ça, peut-être celles que Dieu a voulu effacer de son nom
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Plein de questions, évidemment, mais nous nous reverrons n’est-ce pas !
Présentation et entretiens réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 10 décembre 2014.