Jean Yves Le Naour, 1916. L’Enfer

Un his­to­rien qui récon­ci­lie avec l’Histoire !

L’année 1916 est mar­quée par deux grandes batailles : Ver­dun qui débute le 21 février à 4 heures et l’offensive alliée sur la Somme qui com­mence fin juin. Ces deux gigan­tesques affron­te­ments ne doivent pas, cepen­dant, mas­quer le reste des com­bats comme ceux des Bal­kans. Et, tou­jours bien à l’abri de la mitraille et du pilon­nage, la pitoyable et déri­soire pan­to­mime à laquelle se livrent les hommes poli­tiques pour gar­der leur pou­voir, leurs avan­tages, le com­man­de­ment de Joffre l’incompétent depuis le châ­teau de Chan­tilly.
Le livre consa­cré à l’année 1916 s’ouvre par la nar­ra­tion des aber­ra­tions poli­ti­ciennes et celles rela­tives au Grand Quar­tier Géné­ral de Joffre. L’auteur décrit les luttes entre les hommes poli­tiques, les démê­lés de Gal­lieni, le véri­table vain­queur de la Marne devenu ministre, avec l’administration. Il détaille le com­man­de­ment d’un Joffre diri­geant sur des cartes, entouré de jeunes-turcs irres­pon­sables dont les seules com­pé­tences étaient de ne pas le contre­dire, mais qui n’avaient jamais été au front.

Puis c’est la rela­tion d’une des batailles sym­bo­lique : Ver­dun. Jean Yves Le Naour expose les rai­sons du com­man­de­ment alle­mand qui veut frap­per à un endroit psy­cho­lo­gi­que­ment fort et Ver­dun paraît être ce point. Il explique le désar­me­ment des for­ti­fi­ca­tions, tant en maté­riel qu’en hommes. Certes, le début du conflit, fait de mou­ve­ments, pou­vait lais­ser sup­po­ser que ces construc­tions étaient deve­nues inutiles. Bien que des infor­ma­tions fiables soient par­ve­nues aux res­pon­sables mili­taires et civils, ceux-ci n’y ont pas cru. Mais, c’est l’enfer qui se déclenche, une bataille de 300 jours et 300 nuits qui com­mence avec l’horreur au quo­ti­dien. De février à novembre, le sec­teur de Ver­dun a reçu de six obus par mètre carré.
Alors que Fran­çais et Alle­mands se mas­sacrent à Ver­dun, une offen­sive de grande ampleur, menée conjoin­te­ment avec les Bri­tan­niques, s’organise sur la Somme. Les moyens employés en février par les Alle­mands sont appli­qués. Un pilon­nage mas­sif per­suade qu’aucun sol­dat n’a pu sur­vivre à un tel déluge de fer. Les Anglais s’avancent alors en mar­chant en rangs ser­rés comme à la parade. En six minutes, les Alle­mands res­ca­pés, avec leurs mitrailleuses, tuent ou blessent trente mille hommes.
Pen­dant ce temps, Aris­tide Briand mul­ti­plie les accu­sa­tions pour gar­der sa pré­si­dence du Conseil. Les armées s’enferrent dans les Bal­kans où la Rus­sie se dis­loque, l’Autriche-Hongrie est sai­gnée et la Rou­ma­nie est écrasée.

Jean Yves Le Naour pos­sède un solide sens du récit allié à une connais­sance ency­clo­pé­dique des sujets qu’il aborde. Et chaque sujet est traité par le haut avec les vues des états-majors, des ministres et par le bas avec les sol­dats, ceux qui vivent et meurent sur le front. Il s’appuie sur une docu­men­ta­tion remar­qua­ble­ment vivante, repre­nant ce qu’écrit la presse, les grandes décla­ra­tions des hommes au pou­voir, ceux de l’opposition, comme Cle­men­ceau. Il pré­sente, avec un style per­cu­tant, les situa­tions, les déci­sions, les prises de posi­tion des grands acteurs du drame, du plus haut comme du plus bas.
L’auteur s’attache à décrire la réa­lité, détrui­sant les légendes pour ne gar­der que les faits. Et, en 1916, c’est tou­jours la totale incu­rie au GQG (Grand Quar­tier Géné­ral) qui inter­pelle. Celui-ci reste enfermé dans des modèles qui remontent à 1870, si ce n’est à Napo­léon. L’auteur relève nombre d’âneries pro­fé­rées telle celle de Jacques d’Arnoux : “Celui qui n’a pas fait Ver­dun n’a pas fait la guerre.” Il offre une vision lucide des évé­ne­ments, porte un juge­ment per­ti­nent sur les hommes, éclai­rant une réa­lité sor­dide, bien éloi­gnée de celle décrite par des “fai­seurs de belles phrases.”

On peut regret­ter tou­te­fois l’absence de quelques cartes. Elles auraient été les bien­ve­nues pour mieux situer les dif­fé­rents lieux évo­qués tant à Ver­dun que sur la Somme. Cet his­to­rien expose les évé­ne­ments avec un indé­niable talent. Ses livres récon­ci­lient avec l’Histoire tant sa pré­sen­ta­tion est claire, dyna­mique et pré­cise. Il donne, bien que ses ouvrages soient très com­plets, envie d’en savoir plus. Aussi, on ne peut qu’attendre avec impa­tience sa vision de l’année 1917.

serge per­raud

Jean-Yves Le Naour, 1916. L’enfer, Per­rin, octobre 2014, 376 p. – 23,00 €.

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