Marc-Antoine Mathieu, S.E.N.S.

Sens ou non-sens ?

Chaque album de Marc-Antoine Mathieu est une révé­la­tion tant la recherche nar­ra­tive est pous­sée. Avec S.E.N.S., il pro­pose un voyage muet dans l’espace et dans le temps gom­mant les repères habi­tuels du genre.
Avec ce nou­vel opus l’auteur relate la déam­bu­la­tion d’un per­son­nage ano­nyme qui res­semble quelque peu à Julius Coren­tin Acque­facques, son héros favori, le souffre-douleur de ses varia­tions tem­po­relles. Elle com­mence par une petite flèche grise sur une page tota­le­ment noire. Cette flèche s’éclaircit sur les deux pages sui­vantes et se révèle être le trou de la ser­rure d’une porte devant laquelle se tient un homme en man­teau, tenant une valise de la main gauche. Der­rière, un monde étrange, un monde vide qui se rem­plit au fur et à mesure de flêches de toutes formes, de toutes natures, selon le thème retenu par l’auteur. Celui-ci jongle avec toutes les pos­si­bi­li­tés, offrant mille varia­tions. Il en fait des pan­neaux indi­ca­teurs qui n’indiquent rien, des esca­liers, des bords de murs, des plans incli­nés, des élé­ments de vête­ments, des barques, des pyra­mides… Le per­son­nage che­mine, guidé par cette suc­ces­sion de flèches. Mais où va-t-il ? Jusqu’où ? Et pourquoi ?

À la façon d’un Ray­mond Devos des­si­na­teur, il n’enchaîne pas des mots, mais des traits qui forment des images, les fai­sant émer­ger, se modi­fier par le biais des ombres, des pers­pec­tives. Il enchaîne, ainsi, pour son per­son­nage, nombre de situa­tions dans un uni­vers infini, mené par une marche en avant logique. L’auteur a-t-il voulu, dans ce qui res­semble à une fable, une para­bole, mon­trer que l’existence humaine n’est qu’un par­cours guidé par des conven­tions, des direc­tions ?  La vie se déroule-t-elle à suivre un iti­né­raire pré­éta­bli, mal­gré le sen­ti­ment de liberté, dans les choix, que peut res­sen­tir un indi­vidu ?  Ainsi, Marc-Antoine Mathieu conduit une réflexion per­ti­nente sur le sens et le non-sens de la vie, sur la boucle que l’on est amené à faire de l’enfance à un retour vers un stade infan­tile des grands vieillards. “On rede­vient petit enfant dedans le ventre de la terre” chan­tait Jacques Brel, ce pro­di­gieux poète.
Il faut saluer éga­le­ment les Édi­tions Del­court qui acceptent de suivre l’auteur dans ses “délires gra­phiques” lorsqu’il pro­pose, selon les albums, de com­men­cer en cours d’histoire à mettre des pages déchi­rées ou comme dans le pré­sent album une page repliée quatre fois avec un seul petit logo com­posé de quelques flèches.
Tout en noir, gris et blanc, cet album inter­pelle for­te­ment pen­dant sa lec­ture et une fois la der­nière page refer­mée. S.E.N.S. est un ouvrage superbe qui a sa place sous chaque sapin de Noël.

serge per­raud

Marc-Antoine Mathieu (scé­na­rio, des­sin, cou­leurs), S.E.N.S., Edi­tions Del­court, novembre 2014, 256 p. – 25,50 €.

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