Le texte reste lui-même distant à l’égard des sujets qu’il traite
Une forme se meut lentement : il s’agit d’une rotation, celle d’un monumental rouage à quatre branches, qui finit par laisser apparaître un personnage grimé, sali, aviné comme un clodo. L’argument est connu ; il est énoncé par l’ivrogne : alors qu’outre-mer on répand la bonne parole, les changements de pouvoir intervenus en France la rendent obsolète. Napoléon a pris en main les affaires de l’Empire et rétabli l’esclavage : les missionnaires de la liberté, chargés de provoquer le soulèvement des peuples asservis, sont donc dépossédés du principe de leur fonction. Le décor reste sombre, presque noir ; l’inexorable crénelage poursuit sa rotation lente en ne s’arrêtant que par intermittence au cours de la représentation. Le texte se propose d’explorer les tensions inhérentes à l’entreprise française dans son ambiguité.
Mais l’écriture de Heiner Müller adopte une forme trop théorique, presque hermétique : le texte reste lui-même distant à l’égard des sujets qu’il traite. L’ironie de la mise en scène risque de le faire sombrer dans la caricature. Une longue tirade d’un employé exprime de façon redoublée le désarroi du fonctionnaire déchu de sa mission. On retiendra quelques adresses réussies, des moments plaisants, tels la belle prestation de l’ange du désespoir ; mais dans l’ensemble, le spectacle ne trouve pas son rythme. La pièce s’achève par un plaidoyer pour la révolte des esclaves. Ne parvenant pas à faire autre chose qu’illustrer la déclaration des droits de 1793 qu’il a placée en exergue de son propos, le texte reste peu efficace et sensiblement redondant, parce qu’il ne se propose pas d’explorer des difficultés pour en montrer l’évolution. Il ne reste de ce spectacle qu’une puissante construction scénique.
christophe giolito
La Mission
de Heiner Müller traduction de l’allemand Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger mise en scène Michael Thalheimer
avec : Jean-Baptiste Anoumon, Noémie Develay-Ressiguier, Claude Duparfait, Stefan Konarske, Charlie Nelson
ScénographieOlaf Altmann ; musique Bert Wrede ;lumières Norman Plathe ; costumes Katrin Lea Tag ; dramaturgie Anne-Françoise Benhamou ; assistante à la mise en scène Sandrine Hutinet ; maquillageJustine Denis ; stagiaires à la mise en scène Laura Beillard, Lisa Guez ; assistante costumes Isabelle Flosi.
Création à La Colline, Grand Théâtre, du 05 Novembre 2014 au 30 Novembre 2014.
Du mardi au samedi à 20h30, sauf le mardi 25 à 19h30 et le dimanche à 15h30
Durée 1h30 environ. http://www.colline.fr/fr/spectacle/la-mission
Production La Colline – théâtre national Le texte de la pièce a paru aux Editions de Minuit en 2006.