Luigi Celi, Dialogue poétique avec les Quatre Quatuors de T.S. Eliott

Suspect à l’existence

On ne gué­rit pas du temps car on ne gué­rit pas de la vie. Mais la poé­sie — lorsqu’elle se bâtit sous la puis­sance de T.S. Eliott et de Dante — per­met de sau­ver les meubles même au moment où l’on constate que la dou­leur est une foire et que la mort n’est pas seule­ment un tic d’adolescent. Le poète ita­lien Luigi Celi per­met de com­prendre que la hau­teur qu’affiche le tré­pas dis­si­mule mal le piètre mys­tère de sa pâmoi­son puisque, dès notre nais­sance, la perte de conscience a com­mencé non par choix mais par la force des choses.
Pour autant, la poé­sie du Romain offre un radeau au sein de ce nau­frage. « Les mots telles les notes d’une musique qui va vers un pur silence, vers la ces­sa­tion du mou­ve­ment » per­mettent de tenir encore même s’ils s’effilochent. Tou­jours impré­cis, impar­faits et glis­sant sur la neige, ils ouvrent néan­moins une déme­sure d’où peut se déduire une “loi” transcendante.

Pour Celi, toute pen­sée “claire” remonte à une nuit per­son­nelle mais il existe grâce à la poé­sie un réqui­si­toire qui joue en faveur d’un sacer­doce exis­ten­tiel. Elle offre à la conscience une prise sur elle-même, elle per­met de pré­ci­ser les traits de notre incer­ti­tude. Grâce à sa nature impal­pable et  inutile aux yeux de beau­coup, elle accorde à la vie une pâte qui n’a plus seule­ment l’épaisseur d’une hal­lu­ci­na­tion. « Mère de l’insensée », la poé­sie n’offre pas la confir­ma­tion d’un miroir mais elle confirme ce qui est et sur­tout ce que l’être peut deve­nir et ce dans la droite ligne des deux maîtres « celi­niens » cités plus haut.
A tra­vers elle se mesure le temps, « un temps qui n’est pas nôtre » mais qu’il faut néan­moins habi­ter. Le poème est donc l’appel, « la musique qui déterre la racine même du temps » pour don­ner voix et voie à la por­tion qu’il nous convient de faire croître et rani­mer entre l’air et le feu afin que la vie soit et vienne por­ter le doute iden­tique à celui qu’annonçait un auteur oublié : « Mort, où est ta victoire ? ».

Celi rap­pelle ainsi que la poé­sie ne rend jamais la mort épi­pha­nique. Pui­sant dans l’inexprimable, celle-là fomente des mer­veilles qui élèvent l’affect trop sou­vent sus­pect à l’existence au rang de vérité. Pro­vi­soire sans doute mais vérité tout de même.
Pour le prou­ver, non seule­ment Celi écrit : « les paroles conduisent les morts à la vic­toire », mais il rap­pelle qu’elles par­viennent à une unité vitale autour des pétales de l’être au nom d’un amour trans­cen­dan­tal lorsqu’un sillon s’ouvre et que le soleil s’y étend afin que « le feu et la fleur en unité s’enlacent ».

jean-paul gavard-perret

Luigi Celi, Dia­logue poé­tique avec les Quatre Qua­tuors de T.S. Eliott, Tra­duc­tion de Phi­lippe Deme­ron, Les Cita­delles, Paris, 2014.

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