Jeanne susplugas, Bases de données littéraires

Le des­sin et ses masques

Cédant dans son délire à la ten­ta­tion de la réa­lité, Jeanne Sus­plu­gas hante ses images de mots et ses mots d’images même si celles-ci gardent la tran­quillité des sta­tues — mais pas for­cé­ment celle de la Liberté – et pro­duisent l’intensité de fêtes païennes et de leur délire. Pour­sui­vant dans ce livre sa série de des­sins inti­tu­lés « Contai­ners » enta­mée en 2007, elle aligne des fla­cons de phar­ma­cie dont les noms sont rem­pla­cés par des seg­ments phras­tiques issus de ses lec­tures (Des­pentes, Ell­roy, Beig­be­der, Dar­rieus­secq, etc.).
Par des doubles emprunts de formes et de « fonds », l’artiste entre en résis­tance contre les ordres et la bien­séance. Elle y ouvre des brèches puisque les des­sins et les textes qui les accom­pagnent encou­ragent divers types de coïts dans un accrois­se­ment de nulle part. Le reste — si reste il y a — pos­sède l’épaisseur d’une hal­lu­ci­na­tion, d’une locu­tion pro­ver­biale.
Jeanne Sus­plu­gas cultive un art qui est autant de la déri­sion, de la guerre que d’un cer­tain « nei­gisme » (selon le mot de Jacques Lizène) : c’est l’aboutissement de l’art concep­tuel, dans sa forme “nua­giste évo­luée” et du des­sin maté­ria­liste selon une sur­pre­nante façon de retrou­ver, de revi­si­ter l’art figu­ra­tif de repré­sen­ta­tion et la lit­té­ra­ture par la sub­ti­lité des diverses touches d’une cal­li­gra­phie noir sur fond blanc.

Jadis l’artiste pra­ti­quait à l’inverse écri­vant en blanc sur le noir des nuits,  des pneus, des car­ros­se­ries, des vête­ments et des divans pro­fonds. Désor­mais, dans un art appa­rem­ment zen et gra­cieux, médi­ca­men­teux et toxique,  l’artiste ose l’impensable où comme elle l’écrit « on lexo­mile mais où on ne rêve pas ». La neige n’est en rien celle du ciel mais de pilules autant amères qu’amènes.
Résu­mons : regar­dant le monde de près, l’on constate ici qu’il n’y a le plus sou­vent que le sexe (anal, buc­cal, vagi­nal qu’importe) pour ensei­gner le feu dans la cohorte humaine. Dans ces éclairs se per­çoit le plus impor­tant : hors de lui, il n’existe pas plus d’identité que  de den­sité. Il faut donc exis­ter avec lui sans autre vérité. Et que — bien sûr — chacun(e) soit comblé(e) tout comme les héroïnes de ces his­toires. Elles ne font que pas­ser « dans une bai­gnoire de Vodka rem­plie de com­pri­més ». Pour leur bien. Pour leur mal. Mais sur­tout pour le ravis­se­ment du lecteur-voyeur.

jean-paul gavard-perret

Jeanne Sus­plu­gas, Bases de don­nées lit­té­raires, coll. L’art en écrit, Edi­tions Jan­ninck, Paris, 2014.

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