Piero Salzarulo, En attendant Hypnos

L’incons­cience de l’insomniaque

Avec une pré­ci­sion de spé­cia­liste mais aussi de funam­bule, Piero Sal­za­rulo joue la den­te­lière de l’insomniaque pris de fait à son propre jeu. Refu­sant les approches du som­meil dont il obli­tère sciem­ment les signes et les mes­sages, celui-ci fait ce qu’il feint de ne pas voir et vou­loir. Crai­gnant par-dessus-tout l’arrivée du som­meil parce qu’elle repré­sente une perte de conscience donc une perte de contrôle, il devient ce que Beckett nomma « insom­niaque rêveur ». Feindre de ne pas dor­mir — ou comme le sou­ligne l’auteur d’« inven­ter » l’absence de som­meil et « de dor­mir en y pen­sant » — per­met sous cou­vert d’une dou­leur pré­su­mée insup­por­table de faire l’économie de l’affrontement avec les monstres incon­trô­lables de l’inconscient. Sans doute Sal­za­rulo lui-même ne le met –ilpas suf­fi­sam­ment en évi­dence : il le pressent plus qu’il ne le dit comme si lui aussi — en trop bon cli­ni­cien ratio­na­liste — il crai­gnait les remugles de l’inconscient.
En dépit de son âme de che­va­lier du sens, il y a fort à parier qu’il redoute les aven­tures sur­réa­listes lorsque la psy­ché appa­rem­ment en som­meil offre aux angoisses et aux peurs des méta­mor­phoses que l’insomniaque refuse. Refu­sant de sacri­fier aux légendes que l’inconscient pro­pose, le neu­ro­psy­chiatre en invente une autre avec l’orgueil du spé­cia­liste peu enclin à affron­ter les cor­beaux blancs du som­meil afin de cares­ser la veille des chouettes diurnes. Au nom de quoi toutes les jus­ti­fi­ca­tions sont bonnes à prendre. Preuves lit­té­raires à l’appui : de Valéry à Bru­ck­ner, de Louise Bour­geois à Lewis Car­roll, de Fitz­ge­rald jusqu’à Amé­lie Nothomb.

En atten­dant Hyp­nos  pro­page de fait une chan­son de gestes mâti­née de science-fiction. Néan­moins, Sal­za­rulo n’est pas dupe de l’insomniaque : il sait la belle tor­sion que sa mala­die lui per­met : il s’agit moins d’attendre le som­meil que d’attendre le réveil. L’auteur met donc à nu une dis­tinc­tion essen­tielle et per­ti­nente. Les vieux évan­giles de l’insomnie ne se referment plus en cercle, la foi de char­bon­nier du pré­tendu non-dormeur est dénon­cée. Celui-ci fuit ses abîmes en pré­fé­rant les asiles de lumière et en culti­vant une forme de mélan­co­lie par­ti­cu­lière : bref, le rêve éveillé se porte en bou­clier au chaos de l’endormissement.

jean-paul gavard-perret

Piero Sal­za­rulo, En atten­dant Hyp­nos, coll Trait Court, Pas­sage d’Encres, Guern, 2014, 5,00 €.

1 Comment

Filed under Espaces ouverts, Poésie

One Response to Piero Salzarulo, En attendant Hypnos

  1. Villeneuve

    Polo met davan­tage à jour que Piero l’offrande empoi­son­née de l’angoisse noc­turne nour­rie par ” les monstres incon­trô­lables de l’inconscient ” . Un hyp­no­tique réduit l’affrontement à la gui­mauve de sta­tue pétri­fiée qui refuse la cruelle luci­dité : ceci n’est pas écrit par Sal­za­rulo qui cite en avant-propos lit­té­raire Mau­pas­sant atten­dant le bour­reau nommé sommeil .

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