Norma Cole, Avis de faits et de méfaits

L’ hori­zon vide du à dire

Sous le titre Avis de faits et de méfaits, Corti pré­sente deux livres (super­be­ment tra­duit par Jean Daive) de Norma Cole : 14000 Facts & More Facts (2009). Ils sont pré­cé­dés de In memo­riam Jacques Der­rida écrit en hom­mage au phi­lo­sophe lors de sa mort. Née en 1945, Cana­dienne de nais­sance, Norma Cole est une poète amé­ri­caine ins­tal­lée en Cali­for­nie. Elle a publié — entre autres — une ving­taine de recueils. Fran­co­phile, elle tra­duit éga­le­ment des poètes fran­çais les plus contem­po­rains (Claude Toyet-Journoud, Emma­nuel Hoc­quard, Joseph Sima). Elle compte parmi les plus impor­tants auteurs actuels de la poé­sie amé­ri­caine et a reçu des prix majeurs dont  The Ger­bode Poe­try Prize  ou le Robert D. Richard­son Non-Fiction Award.
Avis de faits et de méfaits marque la jonc­tion entre un monde qui finit et un autre qui com­mence et cela, dans l’ombre du Glas de Der­rida. L’artiste ratisse ici les débris d’une vie déjà bien avan­cée et où toute une expé­rience exis­ten­tielle et esthé­tique s’est accu­mu­lée. Le tout en jaillis­se­ment, entre l’amour et son abîme, entre le vide et un cer­tain accom­plis­se­ment selon une écri­ture elle-même faite de frac­tures. Le lan­gage se situe au cœur de l’obscurité qu’il réver­bère à tra­vers la voûte sonore des mots et leur épreuve : « Dans la bouche / dans les yeux/ à quoi ça res­sem­ble­rait / révé­ler des secrets/ lys de la val­lée, lilas/ renon­cules, pois de sen­teur / n’émeuvent pas les colombes/ qui se pré­parent pour la nuit/ laisse-moi te regarder »

Comme on le voit Norma Cole avance dénuée dans la langue qui habi­tuel­le­ment se prête à tant d’éloquence fac­tice. A l’inverse, chez la poé­tesse amé­ri­caine le lan­gage est fait d’un mur­mure plus que d’un savoir. Il s’agit de cap­ter par la rumeur des mots la rigueur du vide, le mutisme des glaces, les remugles de l’affect. Par cette approche, l’auteure épure le moindre, s’éloigne du lyrisme au moment où le cré­pus­cule de la vie s’approche et que ses bornes sont visibles. Il s’agit pour­tant d’émerger de la langue à dire que pos­sède toute langue et qu’Husserl nomma « l’horizon vide du à dire ».
La poé­sie devient le moyen de pous­ser à l’extrémité le temps de la réflexion. Elle est aussi le moyen de réfé­rer au passé le futur anté­rieur : au « elle se pen­dit » de la vie, Norma Cole pré­fère son « elle se sera pendu ». C’est là une manière de venir à bout de la nos­tal­gie et peut-être du chaos. Si bien que la poé­tesse reste la sauvageonne-mère à venir de tout. Là où le vide crée le concret et où l’interrogation ne com­porte pas de réponse : il n’y a pas de oui ou de non. Juste le silence, la vie, les mots, leurs résis­tances.
L’enracinement n’est ni dans le ciel ni dans la terre : à l’horizon, pour toute ligne d’inatteignable démarcation.

jean-paul gavard-perret

Norma Cole, Avis de faits et de méfaits, Tra­duit de l’anglo-américain par Jean Daive, coll. Série amé­ri­caine, édi­tions Corti, Paris, 2014.

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