A huit ans, le narrateur est emmené dans une chambre inconnue. Son regard est soumis à une image fascinante qui sublime un processus de terreur et de plaisir. Trop forte, cette image est remisée dans l’inconscient de l’enfant avant de faire retour. Il s’agit désormais de l’appréhender. Dans ce but, Schefer doit mettre des mots « dedans ». Mais au nom du traumatisme premier leur « frégolisme » (Barthes) ne peut en venir à bout. Une stratégie plus efficiente est nécessaire. Il faut une opération – entendons ouverture – capable de provoquer une révélation et un aboutissement bien en amont de la résilience.
Conduit par sa mère chez son amant, l’encore innocent est soumis à un « voyage » où se mêlent l’incompréhension, la catastrophe et la jouissance. La remontée se fait par étapes en arpentant fantasmatiquement le couloir et le labyrinthe qui menèrent l’enfant à la chambre, l’image, la sidération inter-dite. Le tout, au nom de l’incompossible de ce que Schefer nomme « Une histoire d’amour qui sans cesse recommence ». Par la soierie de ce voyage, il secoue nos nuits fragiles. Nous y dormons soudain tout habillés comme des nomades. L’image devient notre peuple intérieur, elle chevauche monts et merveilles entre la douleur et les astres.
L’auteur nous guérit-il de l’extase du vide et de la maladie du temps ? Pas sûr. Tel un ange noir, il nous tire par les pieds, agite nos bas-fonds. La littérature est plus exaltée que le feu car elle a la poésie dans le sang. Les yeux s’entrouvrent sous le fil de la vie d’un fils confronté à l’invisible et l’impensable. Le texte débarque jusque dans notre inconscient sans doute pour porter la lumière dans l’ombre de caves où veille un dragon. L’auteur, lui, plante le stylet de l’écriture car il sait que, cet assoiffé, rien ne le désaltère sinon des rêves qui le broient dans un grand luxe de rigueur.
Reste donc cette langue de feu autour des cris d’une bien étrange « fée ».
jean-paul gavard-perret
Bertrand Schefer, La photo au-dessus du lit, P.O.L éditeur, 2014, 72 p. — 7,50 €.