François Emmanuel, Le Vent dans la maison

Un récit-tourmente qui relate le lent che­mi­ne­ment l’un vers l’autre de deux êtres meurtris

Dans la mai­son a souf­flé le vent de la folie, celui de l’oubli, celui, aussi, de la dévas­ta­tion par l’absence… La mai­son est deve­nue désert, celui qu’il faut tra­ver­ser pour se retrou­ver — un poi­gnant voyage de deux êtres l’un vers l’autre que retrace le der­nier roman de Fran­çois Emma­nuel. Un roman aux replis secrets, qui ne se donne pas à la pre­mière lec­ture et qui exige du lec­teur une dis­po­ni­bi­lité totale — une pré­sence vraie comme se la concèdent pro­gres­si­ve­ment l’un à l’autre les deux prin­ci­paux pro­ta­go­nistes, Hugo et Alice.

Mais tout com­mence par une énigme : le nar­ra­teur fran­chit le seuil d’une mai­son vide à la suite d’une lettre — en fait un mes­sage sibyl­lin de quelques mots — reçue plu­sieurs mois aupa­ra­vant, qui avait échoué à diverses adresses avant de par­ve­nir à son des­ti­na­taire. Et à laquelle celui-ci ne pourra répondre qu’au bout de longs mois. Des méandres, déjà — et l’histoire qui là com­mence n’en manque pas…
Hugo — le nar­ra­teur, donc — diplo­mate en poste en Afrique, reçoit un mes­sage d’Alice, une femme qu’il a aimée jadis mais dont il était sans nou­velles depuis seize ans. Lorsqu’il revient vers elle, il trouve sa mai­son vide et apprend qu’elle est inter­née en asile psy­chia­trique. Il essaie alors de com­prendre ce qui l’a conduite à se reti­rer ainsi du monde et, par là même, s’efforce, en lui offrant sa parole, son écoute et sa pré­sence, de rompre ce retran­che­ment.
Il est certes pos­sible de rame­ner le roman à cet argu­ment de base — c’est au fond une sublime his­toire d’amour, repo­sant sur des expé­riences extrêmes de deuil et de quasi folie - mais s’en tenir là et s’attacher aux lignes de force des per­son­nages revien­drait à réduire Le Vent dans la mai­son à sa char­pente nar­ra­tive qui, pour solide et sub­tile qu’elle soit, serait peu de chose sans les sin­gu­la­ri­tés d’écriture et d’énonciation qui magni­fient ce texte.

Parti­cu­la­rité pre­mière et qui ne lais­sera pas de décon­cer­ter le lec­teur dilet­tante : la pre­mière per­sonne du texte s’adresse à un “tu”, un “toi” - et non pas au lec­teur. Celui-ci n’est pas le des­ti­na­taire prin­ci­pal, il est comme confiné dans un recoin, convié en spec­ta­teur tenu à la plus grande dis­cré­tion pour ne pas déran­ger le lent bal­let entamé par Hugo et Alice de part et d’autre d’un no man’s land de folie qu’ils doivent fran­chir pour se rap­pro­cher enfin. Le récit se lit comme une longue épître — par-dessus l’épaule d’Alice, à qui elle est des­ti­née. Une fois accep­tée cette pos­ture de lec­ture il faut s’accoutumer à l’écriture, qui devien­drait poé­sie pure s’il n’y avait les évé­ne­ments à nar­rer pour l’ancrer dans le registre roma­nesque. Écri­ture poé­tique, donc, en cela qu’elle est ani­mée d’un rythme, qu’elle semble obéir à une ligne mélo­dique — et aussi parce que les mots, assem­blés sou­vent selon un ordre peu habi­tuel ou bien enchaî­nés lon­gue­ment entre vir­gules, semblent s’appeler les uns les autres, entraî­nés par un souffle étran­ger à la seule jus­ti­fi­ca­tion narrative.

Le Vent dans la mai­son est un livre exi­geant, qui demande à être relu une fois achevé, qui appelle à ce que l’on y revienne — et dont il est extrê­me­ment dif­fi­cile de “par­ler” — au sens où un chro­ni­queur lit­té­raire le fait ordi­nai­re­ment. Ce que ce texte sus­cite est un puis­sant remue­ment au fond de soi — mais pas à cause des détresses dont il traite : c’est une mys­té­rieuse alchi­mie ver­bale qui tra­vaille le lec­teur au corps ; le texte n’est pas ven­teux mais plu­tôt flu­via­tile et il emporte par-delà les phrases, dans une arrière-chambre que ménagent l’agencement des mots, les méta­phores et images sans cesse à l’œuvre, le rythme des jux­ta­po­si­tions cumu­la­tives scan­dées par les vir­gules récur­rentes. C’est un récit-tourmente dans lequel on s’immerge corps cœur et âme tout un et dont on sort le souffle court… mais émer­veillé et sur­pris comme au pre­mier matin du monde.

isa­belle roche

   
 

Fran­çois Emma­nuel, Le Vent dans la mai­son, Stock, août 2004, 194 p. — 17,00 €.

 
     
 

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