Andréa H. Japp, Barbarie 2.0

Une inquié­tante pro­gres­sion de la barbarie !

C’est plu­tôt l’inculture qui carac­té­rise la bar­ba­rie d’un peuple. Celle des indi­vi­dus se défi­nit par des actes de cruauté et d’inhumanité. Ceux-ci, par le passé, pou­vaient s’expliquer par la lutte pour la vie. Aujourd’hui, la bar­ba­rie dans des socié­tés avan­cées est gra­tuite, per­pé­trée sans aucune rai­son. Dans un thril­ler gla­çant, Andréa H. Japp recense la recru­des­cence de ces actes et apporte, grâce à ses com­pé­tences de scien­ti­fique, quelques expli­ca­tions, sug­gère quelques solu­tions.
Tho­mas Dele­barre, un avo­cat géné­ral à la retraite, est assas­siné. Sur son front, le tueur a écrit : “porc”. Dans son ordi­na­teur, les enquê­teurs découvrent une série de pho­tos pédo­por­no­gra­phiques vio­lentes. Arté­mis et Apol­lon com­mu­niquent par Inter­net et évoquent, exemples à l’appui, le déve­lop­pe­ment de la bar­ba­rie. Yann Lema­dec est psy­cho­logue à la BIS, une cel­lule du minis­tère de l’Intérieur. Il doit réta­blir la répu­ta­tion de Tho­mas Dele­barre. En effet, le frère aîné d’un pro­cu­reur géné­ral bien en cour, l’oncle d’une femme mariée à une des plus grosses for­tunes mon­diales, ne peut avoir des pen­chants aussi odieux. Yann relève, avec l’aide de Lucie Dor­mois, une infor­ma­ti­cienne, que les pho­tos ont été télé­char­gées quelques minutes après la mort de l’avocat géné­ral. Convo­qué par son supé­rieur, Yann se voit impo­ser le secret le plus absolu et l’obligation de conti­nuer l’enquête. Il est orienté vers le pro­fes­seur Alexan­dra Beau­jeu, dont le fils a été assas­siné dans des condi­tions abjectes il y a une quin­zaine d’années. Celle-ci a tou­jours repro­ché à Dele­barre d’avoir été trop clé­ment dans son réqui­si­toire lors du pro­cès des trois cri­mi­nels, des cri­mi­nels qui, depuis, sont morts dans des cir­cons­tances sus­pectes.
Sa ren­contre avec Alexan­dra, et Gré­goire son fils adop­tif, est sym­pa­thique. Avec le témoi­gnage d’un com­mis­saire de police, elle a un alibi en or. En fouillant sur le “Net”, aidé de Lucie, Yann découvre des faits trou­blants, des coïn­ci­dences étranges. Gré­goire écrit de la Fan­tasy bien caché sous un pseu­do­nyme, une société a été créée par un trio impro­bable… Ce qui le frappe, c’est la dis­cré­tion dont font preuve tous ces acteurs, comme s’ils effa­çaient toutes traces. Et pour­quoi tous ces indi­vi­dus aux yeux gris les cachent-ils sous des lentilles ?

 Avec les affaires de plus en plus nom­breuses que les médias rap­portent, les scien­ti­fiques constatent une mon­tée ver­ti­gi­neuse de la vio­lence dite “gra­tuite”, de dys­fonc­tion­ne­ments com­por­te­men­taux. Paral­lè­le­ment, le déve­lop­pe­ment alar­mant de l’hyperagressivité chez les enfants et les ado­les­cents inquiète des cher­cheurs. Andréa H. Japp a recensé ces der­nières années des affaires spec­ta­cu­laires et s’est inté­res­sée aux études en neu­ros­ciences qui tentent d’apporter des expli­ca­tions et des éclair­cis­se­ments. À tra­vers les échanges entre Arté­mis et Apol­lon, une Fran­çaise et un Cana­dien, elle liste une par­tie de ces actes, de ces coups de folie, fait retrans­crire une confé­rence au contenu effrayant.
Outre les don­nées scien­ti­fiques, dont elle cite les sources et qu’elle décrypte avec un voca­bu­laire com­pré­hen­sible par tous, elle intro­duit une dimen­sion éco­no­mique, celle du pro­fit à tout prix, quel qu’en soient les consé­quences pour l’être humain. Ainsi, les carences ali­men­taires, res­pon­sables en par­tie de cette évo­lu­tion, peuvent être par­fai­te­ment soi­gnées avec des pro­duits de base non bre­ve­tables et peu chers. Cela n’intéresse pas les car­tels finan­ciers qui, d’ailleurs, font tout pour effa­cer les traces de ces solu­tions. Par contre, l’insécurité, la vio­lence avec toutes les mesures prises pour lut­ter et se pro­té­ger génèrent des mar­chés juteux.

Avec ces élé­ments, Andréa H. Japp ima­gine une intrigue met­tant en jeu des inté­rêts puis­sants. Elle émaille son récit de nombre de réflexions per­ti­nentes et pleines d’un bon sens salu­taire sur le fonc­tion­ne­ment de notre société, son évo­lu­tion et ses dik­tats : la min­ceur, la perte de la vie pri­vée, les pres­sions per­pé­tuelles pour la consom­ma­tion… L’auteur dis­tille, dans cette noir­ceur, un humour tout en contrastes comme, par exemple, asso­cier au cer­veau qui voit arri­ver des oméga-3 le loup de Tex Avery. Elle pro­pose un texte très moderne met­tant en scène les der­nières tech­no­lo­gies, fait part de pro­jets extra­va­gants comme la créa­tion de cités flot­tantes réser­vées aux plus riches. Mais elle évoque éga­le­ment les élé­ments du quo­ti­dien tel Candy Crush qui, pour un per­son­nage, n’est : “… qu’un super-morpion numé­rique et en cou­leurs.“
Ce thril­ler, avec ses com­po­santes poli­cières et ses énigmes, ses actions mus­clées et bru­tales, ses don­nées scien­ti­fiques et éco­no­miques sur les­quelles repose l’intrigue, est addic­tif. Extrê­me­ment docu­menté, éru­dit, ce récit tonique est pas­sion­nant. Il amène, cepen­dant, des élé­ments de réflexion peu réjouis­sants dans un pay­sage où les rai­sons d’être opti­miste ne font pas florès.

serge per­raud

Andréa H. Japp, Bar­ba­rie 2.0, Flam­ma­rion, sep­tembre 2014, 446 P. – 21,00 €.

 

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