Guillaume Constantin : L’oeuvre au noir, le concept & la matière
Guillaume Constantin ne cherche pas à fabriquer des chefs-d’œuvres. Ne rêvant pour ses travaux ni de bronze ou d’autres matières nobles, il sait entre autres que l’art ne saurait arrondir les têtes que l’accoucheuse a laissées carrées. Subodorant que, depuis Hamlet, tous les fossoyeurs se prennent pour des philosophes il évite quant à lui l’art canonique fait pour les cimetières de l’art que sont les musées officiels. Né libre, il poursuit un travail où le concept se mêle au matériau avec au « centre » toute une série de variations.
Son travail ne prétend pas résoudre tous les problèmes de l’esthétique mais il fait mieux en découvrant ce qui est soustrait à notre vue. Ne figeant rien (et souvent avec humour au second degré), ses œuvres restent habilement « déceptives ». Ne se prétendant pas des oracles, elles ne se veulent pas pour autant des gravats. Elles ouvrent des frontières sans s’attendre à la moindre gratitude. Et si la reconnaissance peut stimuler le talent de l’artiste, la paranoïa n’est pas de son fait.
Sans prendre rendez-vous avec l’Absolu, l’impertinence tient lieu de présence de cire et de circonstance pour mettre à mal la dictature de la raison et rendre non comestibles les pâtes idéologiques dont est confit le monde. Reprenant « à sa main » le « catastrophisme calculé» où un nuage (volcanique ou non) crée des séries d’incertitudes et de décalages, il en tire diverses conséquences qu’il décline selon des motifs récurrents. Lesquels passent d’un contexte à un autre, d’une matière à une autre dans un brouillage opérationnel puisque tout change d’aspect selon les choix de l’artiste.
Adepte de l’exploration de tout ce qui en art peut dysfonctionner, Guillaume Constantin cultive tout ce qui est fragile, instable, éphémère ou morbide comme dans sa réplique en noir sur noir des « Blacks Paintings » d’Ad Reinhardt. Ailleurs, des faux néons créent une autre déclinaison de ces « Blacks Paintings » comme de ces nuages de cendres qui créent l’extinction la plus probante de la lumière. Les combinaisons d’éléments de matériaux, leur conditionnement/déconditionnement, prouvent que l’art s’oriente moins vers la fixité que la précarité. Mais ce processus donne aux œuvres « au noir » de l’artiste toute leur force. Des matériaux pauvres comme le textile ou la pierre, le liège, le plastique, le plexiglas créent des accidents au parcours de l’art selon différentes propositions plus intempestives les unes que les autres.
Il n’est pas jusqu’au référent archaïque telle que la pierre à être revisité selon une intention qui n’a rien de muséal. Néanmoins et comme les matériaux industriels et standards utilisés par Constantin, elle devient le vecteur d’une culture vivante. Elle réinvente le postmodernisme jusque là trop nourri de cynisme, cette meringue non consommable. Dessinateur d’espace, l’artiste s’en veut le premier utilisateur. Avec lui, l’artiste héros est détrôné au profit de l’histrion. Seul ce dernier peut vaincre le pire en rappelant que la vie n’est pas qu’un leurre et la mort qu’un Shakespeare. Pressentant, de plus, que tout rêve social-démocrate-libéral de l’extrême milieu préfigure une nouvelle forme de coercition et d’autoritarisme, Guillaume Constantin casse le flacon de l’art fétichisé pour proposer l’ivresse d’images en une sorte de nouveau dadaïsme mais en plus sophistiqué et complexe.
jean-paul gavard-perret
Guillaume Constantin, BLCK/BLCK, Editions Enigmatiques, Paris, 2014, 2500 €.
Œuvres de Guillaume Constantin à la Galerie Bertrand Grimont, Paris