La naissance de la finance moderne
Le système bancaire est omniprésent, régissant directement et indirectement notre existence quotidienne. Cette saga retrace, depuis le début du XIXe siècle, la montée en puissance de cette entité aujourd’hui mondialisée.
En 1825, Charlotte de Saint-Hubert est à Paris. Elle vit en se prostituant après le coup en bourse raté à Londres et l’abandon, dans les geôles anglaises, de son frère Christian accusé d’un meurtre. Un fidèle client lui apprend que Charles X veut indemniser les émigrés spoliés lors de la Révolution. Elle se rend à la préfecture d’Orléans pour faire valoir ses droits. Elle apprend, alors, que quelqu’un est déjà passé, il y a quelques semaines, pour réclamer la succession et l’indemnisation. Elle est contrainte de remonter jusqu’à cette personne qui se fait passer pour le baron de Saint-Hubert. Elle découvre son frère. Il a échappé à la pendaison mais pas à huit ans de bagne. Depuis, il s’est hissé à la tête d’un établissement financier. Il ne veut rien lui donner et lui souhaite de mourir dans le caniveau.
Charlotte n’a, alors, pas d’autre ressource que d’épouser Leomant, un agent de change. Avec les conseils judicieux de son épouse, celui-ci acquiert une fortune qu’il investit en 1841, dans un grand domaine en Algérie. Mais Charlotte veut sa vengeance et la famille Léomant revient à Paris. Commence le boum de la construction des lignes de chemins de fer. Christian désire sa part du gâteau dans ce domaine, mais sa sœur veut contrecarrer ses ambitions. Alors…
L’essentiel de l’intrigue de ce second volet passe par la haine que se vouent la sœur et le frère. Sur une longue période, c’est l’affrontement par finance interposée. Si Charlotte ne dispose pas d’un organisme bancaire ayant pignon sur rue, elle a pu, avec l’aide de son mari, atteindre une aisance qui lui permet de jouer les trouble-fêtes dans les combinaisons de Christian. Les scénaristes, pour structurer leur guerre fratricide, reprennent des situations réelles comme l’indemnisation des émigrés, le développement du chemin de fer, l’ouverture de la Bourse dans le palais construit à cet effet par l’architecte Alphonse-Théodore Brongniart. La révolte d’Abd-el-Kader écrasée, en Algérie, permet l’installation de colons.
Ainsi, intégrant dans des faits historiques authentiques une fiction pertinente, les scénaristes concoctent un récit passionnant qui met en lumière les moments clés ayant permis l’émergence du système financier contemporain. Ils en montrent tous les aspects avec une galerie de personnages choisis avec soin, comportant tout un lot de banquiers véreux, de spéculateurs, d’escrocs, de voyous et de politiciens vendus au plus offrant… On retrouve toute une gamme d’émotions depuis la vengeance, la cupidité, la trahison, l’orgueil et, chose étonnante, un brin d’honneur !
Le dessin de Julien Maffre, qui a déjà à son actif la trilogie du Tombeau d’Alexandre avec Isabelle Dethan, est efficace. Il met en avant la gestuelle des personnages, s’attachant à faire percevoir, de cette façon, leurs émotions. Les couleurs de Delf complètent heureusement le graphisme.
Ce premier diptyque d’une saga sur l’histoire bancaire est une réussite.
serge perraud
Pierre Boisserie et Philippe Guillaume (scénario), Julien Maffre (dessin), Delf (couleur), La Banque, Cycle 1 (1815 –1848), tome 2 : “Le Milliard des émigrés”, Dargaud, septembre 2014, 56 p. - 13,99 €.