Un témoignage de première main !
L’interprète d’un homme politique participe, au plus près, à toutes les questions traitées et aux décisions prises. C’est donc un maillon important dans la connaissance de l’Histoire. Aussi, quand il s’agit de celui qui accompagna Hitler pendant des années, ces souvenirs sont particulièrement intéressants.
Interprète de la Wilhelmstrasse, le ministère allemand des Affaires Étrangères, Paul-Otto Schmidt raconte, en deux livres, ses années d’interprétariat de 1920, date de son entrée en fonction, à 1949. Sur la scène internationale avec Hitler comprend les souvenances qui portent sur la période de 1933, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, jusqu’à la chute du IIIe Reich en mai 1945. Dans un court épilogue, il relate la période de 1945 à 1949, où il fut emprisonné, mais régulièrement sorti de sa cellule par les alliés pour continuer son travail d’intermédiaire pour raconter, témoigner. Il eut droit, par exemple, à une villégiature de dix jours à Paris, pour évoquer devant des responsables du gouvernement de De Gaulle, des conversations entre Molotov et Hitler.
C’est le 25 mars 1935 qu’il intervient, pour la première fois, comme interprète d’Hitler lors d’une rencontre de celui-ci avec Sir John Simon, le ministre britannique des Affaires Étrangères. Il n’a pas été choisi, selon lui, par Hitler, mais poussé par son administration. Des membres de la Wilhelmstrasse ne participent pas toujours aux réunions à cause de l’aversion d’Hitler pour celle-ci. Les responsables veulent donc avoir un de leurs fonctionnaires présent pour être informés de ce qui est évoqué et de ce qui se décide. Au début, sachant qu’il a été longtemps en poste à Genève, Hitler est réticent mais accepte de faire un essai. Paul-Otto Schmidt maîtrise plusieurs langues, mais principalement le français et l’anglais. Cette maîtrise l’amènera à être le seul témoin de conversations privées, de têtes à têtes, comme ceux entre Chamberlain et Hitler en septembre 1938 au Berghof.
Il a fréquenté, ainsi, tout le “gratin” politique de cette période, de Mussolini à Goering, de Pétain à Staline, de Ribbentrop à Molotov, de Matsuoka à Laval. Il en propose des portraits incisifs, d’une grande pertinence qui amène Jean-Paul Bled, le préfacier du présent livre, à comparer le Dr Schmidt à Saint-Simon, pour le IIIe Reich.
L’interprète resitue les rencontres dans un cadre plus général, revenant sur les circonstances qui ont suscité les réunions auxquelles il participe. Il explicite les événements et leurs conséquences. Il relate des situations dramatiques, des anecdotes, car ces “grands” messieurs restent des hommes ordinaires et sont soumis aux mêmes défauts. Ils sont mêmes, dans ce domaine, mieux servis que le commun des mortels, habitués qu’ils sont à ce qu’on passe tous leurs caprices. Il est témoin des scénettes cocasses comme, par exemple, lorsqu’Hitler et Mussolini se retrouvent sur les lieux de l’attentat du 20 juillet. L’Allemand montre à l’Italien ce qui reste de la pièce et ils discutent, l’un sur une chaise branlante, l’autre sur une caisse renversée.
Puis, peu à peu, l’auteur montre le cheminement de la folie qui gagne le dictateur, un homme coupé des réalités et qui croit en “sa” providence. S’il subit des revers tant dans sa politique que sur le plan militaire, c’est de la faute des autres, de ces mauvais Allemands qui ne veulent pas mourir pour la gloire du Reich.
Ce recueil de souvenirs révèle des pages inédites d’une histoire terrible, une histoire qui a concerné la Terre entière d’une façon ou d’une autre.
serge perraud
Paul-Otto Schmidt, Sur la scène internationale avec Hitler (Statist auf Diplomatischer Bühne), traduit de l’allemand par René Jouan, préfacé et annoté par Jean-Paul Bled, Perrin, mai 2014, 448 p. – 23,00 €.