Ainsi commence l’histoire : « Et si on allait à Blanès ? C’était mon idée. Je l’avais lancée le samedi 10 mars, vers onze heures, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et du fait que je le disais pour lui faire plaisir, sans soupçonner une seconde que cette phrase serait celle qui me ferait chuter tout au fond du gouffre ». Et la romancière d’ajouter : « Pourtant des phrases, j’en ai dit ». Elles vont permettre au discours de se poursuivre. Elles prouvent aussi que la narratrice refuse trop longtemps de sacrifier l’imaginaire au profit de la réalité.
Le premier va pourtant la mettre en porte-à-faux avec le monde intérieur comme extérieur et la conduit vers sa propre disparition ou au moins son effacement tissé à travers le quotidien et selon une analyse pénétrante, non sans une forme d’autodérision. Edwige Jeanmart traite l’émotion sans l’étaler sous prétexte de la faire éprouver par le lecteur. Elle sait qu’une telle approche peut engendrer l’effet inverse. La formulation « indiscrète », sous prétexte de sincérité, s’apparente à un écran. L’auteure le perce et le traverse. Elle préfère l’accumulation de quelques signes ténus de ce qui finit par arriver. A la charnière entre le dire et le non-dire se crée sur le front des nuées sombres le cheminement éperdu de celle qui crut un temps passer entre les gouttes avant de s’y noyer.
S’appliquant avec autant de rigueur que de liberté, Hedwige Jeanmart insinue qu’on ne peut pas toujours inscrire les mots d’amour tant celle (ou celui) à qui on les destine feint le sommeil au bord d’une table baignée d’ombre. Pour le prouver, l’écriture rampe comme un reptile qui ne cesse d’aller. La fonction énonciatrice consiste à détruire ce pour quoi les scènes sont écrites afin de comprendre les origines et les intentions de ce qu’on nomme, de manière vague, amour. Il ne génère rien si ce n’est de « l’incompréhensible ». La romancière tente d’en venir à bout. Elle ne se contente pas de s’inscrire dans une tradition romanesque parfaitement attestée : elle fait monter d’un cran la contestation dans la fiction qui s’affole de la manière dont est traitée la sentimentalité. Celle –ciéclate dans la logique du roman. Il faut appeler cela la ” folie du genre “.
jean-paul gavard-perret
Hedwige Jeanmart, Blanès, Editions Gallimard, 2014. –18,50 €.