Hedwige Jeanmart, Blanès — Rentrée 2014

L’impro­bable rencontre

Ainsi com­mence l’histoire : « Et si on allait à Bla­nès ? C’était mon idée. Je l’avais lan­cée le samedi 10 mars, vers onze heures, après mes deux cafés, consciente de ce que je disais et du fait que je le disais pour lui faire plai­sir, sans soup­çon­ner une seconde que cette phrase serait celle qui me ferait chu­ter tout au fond du gouffre ». Et la roman­cière d’ajouter : « Pour­tant des phrases, j’en ai dit ». Elles vont per­mettre au dis­cours de se pour­suivre. Elles prouvent aussi que la nar­ra­trice refuse trop long­temps de sacri­fier l’imaginaire au pro­fit de la réa­lité.
Le pre­mier va pour­tant la mettre en porte-à-faux avec le monde inté­rieur comme exté­rieur et la conduit vers sa propre dis­pa­ri­tion ou au moins son effa­ce­ment tissé à tra­vers le quo­ti­dien et selon une ana­lyse péné­trante, non sans une forme d’autodérision. Edwige Jean­mart traite l’émotion sans l’étaler sous pré­texte de la faire éprou­ver par le lec­teur. Elle sait qu’une telle approche peut engen­drer l’effet inverse. La for­mu­la­tion « indis­crète », sous pré­texte de sin­cé­rité, s’apparente à un écran. L’auteure le perce et le tra­verse. Elle pré­fère l’accumulation de quelques signes ténus de ce qui finit par arri­ver. A la char­nière entre le dire et le non-dire se crée sur le front des nuées sombres le che­mi­ne­ment éperdu de celle qui crut un temps pas­ser entre les gouttes avant de s’y noyer.

S’appli­quant avec autant de rigueur que de liberté, Hed­wige Jean­mart insi­nue qu’on ne peut pas tou­jours ins­crire les mots d’amour tant celle (ou celui) à qui on les des­tine feint le som­meil au bord d’une table bai­gnée d’ombre. Pour le prou­ver, l’écriture rampe comme un rep­tile qui ne cesse d’aller. La fonc­tion énon­cia­trice consiste à détruire ce pour quoi les scènes sont écrites afin de com­prendre les ori­gines et les inten­tions de ce qu’on nomme, de manière vague, amour. Il ne génère rien si ce n’est de « l’incompréhensible ». La roman­cière tente d’en venir à bout. Elle ne se contente pas de s’inscrire dans une tra­di­tion roma­nesque par­fai­te­ment attes­tée : elle fait mon­ter d’un cran la contes­ta­tion dans la fic­tion qui s’affole de la manière dont est trai­tée la sen­ti­men­ta­lité. Celle –cié­clate dans la logique du roman. Il faut appe­ler cela la ” folie du genre “.

jean-paul gavard-perret

Hed­wige Jean­mart, Bla­nès, Edi­tions Gal­li­mard, 2014. –18,50 €.

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