Celui qui sans se plier est en quatre : entretien avec François Xavier

Les esthètes un rien dandy se font rares. Sans le vou­loir, Fran­çois Xavier en reste un exemple par­fait et demeure à ce titre (entre autres) un des­cen­dant de Ray­mond Rous­sel. Fils unique d’un couple d’architectes (sa mère fut l’une des plus impor­tantes pra­ti­ciennes de cet art), il a tou­jours vécu dans un uni­vers d’artistes. Il débute ses péré­gri­na­tions en inter­vie­want Pierre Arditi et Jean-Pierre Léaud. S’ensuit le désir et la pos­si­bi­lité de « sacri­fier » au luxe d’écrire : Extra­nce est publié aux « Dits du Pont », puis paraissent d’autres textes en revues et des livres dont Le jour où la TV expira… , De l’Orient à l’amour, L’Hydre fumée, Le Char­nier des Pos­sibles. Avec Isa­belle Roche et Fré­dé­ric Grol­leau il crée en 2004 le site où cette inter­view est publiée aujourd’hui. Fran­çois Xavier est pré­sent dans l’anthologie Les Nou­veaux Poètes fran­çais et fran­co­phones de Jean-Luc Favre (J.-P. Huguet Édi­teur).
En 2008, il réa­lise son pre­mier film docu­men­taire, Gott­fried Salz­mann, le peintre de l’eau. En 2014, il revient à la poé­sie avec ses plus beaux livres : Là-bas trois fois et L’Irréparable (Jean-Pierre Huguet édi­teur). De tels textes illus­trent com­bien le dilet­tan­tisme de l’auteur n’est que de sur­face. Xavier pêche dans les étangs noirs et sombres fer­més comme le sexe des femmes dont il parle avec une force péné­trante pour en faire jaillir les lumières enfouies qui le dilatent. De plus en plus, son tra­vail s’oriente vers la pein­ture. Celle-ci absorbe toute sa conscience dès qu’il s’y laisse enva­hir.
 
Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’interdiction de me plaindre, une loi d’airain que j’impose à mon esprit bipo­laire pris en tenaille par ma gémel­lité ; ce qui, j’en conviens com­mence à faire du monde : je suis quatre ! Donc je dois impo­ser une dic­ta­ture sinon c’est l’anarchie totale, laquelle m’aide cepen­dant à fouiller dans tous les sens une idée après l’autre, thèses et anti­thèses se bous­culent et j’en arri­ve­rais à me ren­dor­mir avec des boules Quiès si je ne me don­nais pas ce coup de pied au cul salu­taire pour aller vers l’autre monde, celui de l’Art : lit­té­ra­ture & pein­ture pour me moti­ver, sinon quoi d’autre ?

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Pas tota­le­ment effa­cés, pour ceux qui hantent encore ma mémoire, et réa­li­sés en par­tie, d’où cette loi d’airain à domi­ner mes Moi divers pour conti­nuer à creu­ser le sillon de la beauté, indis­pen­sable cin­quième élé­ment sans lequel je ne peux vivre. En quête d’un détail à chaque ins­tant qui révè­lera la grâce d’un reflet, d’une trille, d’une perspective…

À quoi avez-vous renoncé ?
À une par­tie de ma liberté en accep­tant la farce sociale mais l’indépendance maté­rielle qui en découle me redonne une quote-part de cette par­tie per­due, donc le ratio est glo­ba­le­ment posi­tif même si rien n’est par­fait dans ce monde, mais je m’en échappe le plus possible.

D’où venez-vous ?
Des limbes, puis empri­sonné dans la matrice et expulsé avec trois semaines de retard par des mains caou­tchou­tées et impé­rieuses alors que, déjà, j’avais l’idée de l’ermitage comme seul sanc­tuaire pour évi­ter la lai­deur du monde. Mais obligé d’y être, je gran­dis donc sur les côtes rocheuses de l’Esterel, en bord de Médi­ter­ra­née, ce qui me donna cer­tai­ne­ment un goût pro­noncé pour l’évasion, l’indiscipline, l’indépendance, et le goût des grands espaces !

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une aisance maté­rielle qui me per­met quelques caprices, puisque je refuse obs­ti­né­ment le monde des adultes, un sens de l’orientation, un foie fra­gile, une haine de la hié­rar­chie, le sens du devoir avant tout, l’éloge de la len­teur, le goût des femmes, la grande musique, les belles mai­sons, la vitesse (en ski tout schuss ! ou en voi­ture déca­po­table), le bour­gogne mil­lé­simé, le chant des mots, la pein­ture, Venise.

Qu’avez vous dû « pla­quer » pour votre tra­vail ?
Rien, puisque je ne prends pas du tout au sérieux le monde offi­ciel. Et rien non plus, par consé­quent, pour mes écrits puisque j’ai la chance d’avoir croisé les bonnes per­sonnes (édi­teurs, peintres, écri­vains) qui m’ont conseillé et ont col­la­boré à mes ten­ta­tives d’écriture.

Un petit plai­sir – quo­ti­dien ou non ?
Conduire spor­ti­ve­ment en allant dépo­ser ma fille à l’école ou en ren­trant du bureau (dans Paris, c’est une gageure qui m’amuse encore quelques fois). Voler une heure (de plus !) pour lire. Regar­der le ciel (quand il est bleu, c’est assez rare). Par­ve­nir à m’isoler (quasi impos­sible dans la capi­tale). Boire un grand cru de bour­gogne. Une jour­née dans un musée : Staël au Havre, Veli­cko­vic à Tou­louse, quels souvenirs…

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes et écri­vains ?
Par­ler de soi, quel défi et quelle pré­ten­tion ! Mais comme j’ai la chance d’avoir été lu par Pierre Bru­nel, hop, comme jadis, enfant, d’un coup de rein je contourne l’obstacle, d’autant que je ne sais pas ce que j’écris… Impos­sible de l’écrire deux fois de suite (d’où ma peur panique de perdre le fichier que je sauve trois fois) car c’est une sorte d’écriture auto­ma­tique, comme une transe ; et d’ailleurs j’ai été esto­ma­qué de lire l’étude que Bru­nel a publié sur mon Miroir de la dérai­son (Studi di let­te­ra­tura fran­cese, Flo­rence, décembre 2013) tant j’avais le sen­ti­ment de me trou­ver tout nu tout en décou­vrant enfin les mots justes pour défi­nir ce qui m’habitait, en lieu et place des méta­phores que j’utilise faute de mieux. Donc, ce qui pour­rait me dis­tin­guer, selon Pierre Bru­nel, tout d’abord une forme phy­sique, de l’ordonnancement des vers à la construc­tion du sup­port : « En cela déjà, ce poème en trois cahiers non reliés est à mes yeux carac­té­ris­tique de ce que j’appellerais volon­tiers “La Belle Epoque” de notre XXIe siècle et d’une nou­velle moder­nité poé­tique qui, sans bri­sure spec­ta­cu­laire, sans bou­le­ver­se­ment violent, crée du neuf. » Puis l’esprit : « cette Dérai­son comme un équi­valent de la “Rai­son ardente”, et de voir en Fran­çois Xavier un repré­sen­tant exem­plaire du nou­vel Esprit nou­veau ou de l’Esprit nou­veau renou­velé. » Ce qui pour­rait aussi se résu­mer par une carac­té­ris­tique : tout élar­gis­se­ment de sens est possible.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
Une litho­gra­phie repré­sen­tant un por­trait de jeune femme habillée façon XIXe, incrusté dans une clai­rière. Je devais avoir quinze ans, nous étions blo­qués aux Arcs 2000 dans le Club­Med à cause des ava­lanches, cou­pés du monde d’autant plus qu’il y avait inter­dic­tion de s’approcher des baies vitrées : on a vécu pen­dant deux jours et trois nuits comme dans une grotte. Il y avait donc des ten­ta­tives d’animation et un mar­chand d’art s’étant trouvé blo­qué avec nous, il exposa sa mar­chan­dise et je tom­bai en arrêt devant ce tableau qui me ren­voyait au Grand Meaulnes. J’ai réussi à convaincre ma mère de me l’offrir. Depuis, je n’ai cessé d’acheter des tableaux…

Et votre pre­mière lec­ture ?
Crime et châ­ti­ment : plus qu’une lec­ture, une implo­sion défi­ni­tive ! En refer­mant le livre je savais où je devais aller pour ne pas nier tota­le­ment l’intérêt d’être ici-bas tombé, comme par mégarde, dans le grand n’importe quoi du quo­ti­dien. J’ai mis ensuite la main sur la machine à écrire de mon grand-père et débuté la lita­nie des feuilles noircies.

Quelles musiques écoutez-vous ?
De plus en plus Bach, car après avoir débuté par Jean-Christian Michel et les Pink Floyd, être passé par presque tous les styles (sauf le hard), si j’aime bien Daniel Darc, pas­sion­né­ment Bashung et Ferré et quelques mor­ceaux pop, à la longue mon oreille se lasse, trop de bruit, donc Keith Jar­ret et Bach, que je peux écou­ter une jour­née entière, en lisant, comme hier, par exemple…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Franck Venaille, La des­cente de l’Escaut, un régal !

Quel film vous fait pleu­rer ?
Faut remon­ter dans le temps : Jésus de Mont­réal, de Denys Arcand : un film déjanté, décalé, un film dans le film (un peu comme La nuit amé­ri­caine) et d’une telle force qu’il m’avait retourné. Je me sou­viens être ren­tré à pieds, j’habitais Mar­seille à l’époque, et j’avais le visage en eau, les pas­sants me regar­daient d’un drôle d’air… Ce à quoi il faut asso­cier La der­nière ten­ta­tion du Christ de Scor­sese qu’il ne faut jamais dis­so­cier du chef-d’œuvre La der­nière ten­ta­tion de Nikos Kazantzàki (lequel nomma Kijno comme exé­cu­teur tes­ta­men­taire, encore la magie des liens qui nous unissent au-delà des époques).

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un qui ne fait pas son âge ; comme quoi, conser­ver contre vents et marées son âme d’enfant conserve bien mieux que la cosmétique.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À per­sonne. Mon pre­mier écrit est une lettre ouverte à Michel Rocard, alors Pre­mier ministre, dans Nice-Matin (j’étais encore au lycée) pour lui conseiller de ne pas faire de loi réfor­mant l’orthographe car “far­ma­cie” ne me plai­sait pas même si c’est plus facile à écrire. J’ai abordé Edmonde Charles-Roux dans une expo à Mar­seille et elle m’a très gen­ti­ment pris mon tapus­crit et ses conseils, par la suite, me furent d’un grand secours, tout comme Howard Buten qui pris de son temps et pour me lire et m’écrire et me par­ler de mon tra­vail. J’ai « coincé » Pierre Arditi dans les loges, à Cannes, quelques temps avant son pre­mier César, ce qui m’a per­mis d’avoir un entre­tien exclu­sif à l’époque pour la radio qui m’employait (et son accord pour le film que je venais d’écrire et qu’Alain Ter­zian n’a fina­le­ment jamais pro­duit mal­gré ses belles pro­messes)… Non, quand j’ai quelque chose à dire, soit je vais voir la per­sonne soit je lui écris. Ne pas oser est une faute.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Venise. J’ai la ten­ta­tion de Venise dans tous les sens du terme. C’est Mars pour moi. Que je des­cende du train (qui roule sur l’eau !) ou de l’avion, je me pré­ci­pite dans un Riva et déjà, l’élément eau redonne vie et alors tout est pos­sible, tout s’arrête et recom­mence dans l’autre sens. Venise vous redonne du plai­sir, de la joie, vous res­pi­rez sou­dain, vos yeux voient enfin, quel que soit l’angle que prend votre cou, le décor est à cou­per le souffle. Et puis j’ai la chance d’avoir décou­vert un hôtel sur une île pri­va­tive, ce qui per­met, après avoir arpenté venelles, musées, places et canaux, de recou­vrer le silence et le seul bruit du vent, ponc­tué par le chant de la chouette qui berce mes nuits…

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Les peintres dont cer­tains sont deve­nus des amis et qui ont col­la­boré à la réa­li­sa­tion de livres extra­or­di­naires (Kijno, Veli­cko­vic, Jac­card, Bal­ta­zar, Lobet…). Et les écri­vains, c’est impos­sible de ne pas en oublier : Bau­de­laire, Jac­cot­tet, Dar­wich, Céline, Joyce, Cio­ran, Don deLillo, Somoza, Djian, Fleischer…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
La paix, mais comme c’est impos­sible, une Aston Mar­tin : la DB9. Noir mat, mais vous l’immatriculez à Monaco, vous seriez gentil…

Que défendez-vous ?
Mon invi­si­bi­lité dans le silence. Que l’on me fiche la paix avec la pen­sée unique, le digi­tal, le mul­ti­cul­tu­ra­lisme, la reli­gion, 2017 et tout ce cirque insensé que l’on nous impose à lon­gueur de temps (par mail, SMS, radio, TV) : c’est INSUPPORTABLE ! L’être humain devrait avoir la pos­si­bi­lité de vivre décem­ment sans être agressé continuellement.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Il fau­drait, en pre­mier lieu, s’entendre sur la défi­ni­tion de l’amour : com­pas­sion, sen­ti­ment, désir, pas­sion ? Il me semble que Lacan évoque cette imma­tu­rité si bien décrite dans Les liai­sons dan­ge­reuses quand Val­mont s’offusque de voir que, plus il va vers sa maî­tresse et plus elle le fuit, et quand il s’échappe c’est elle qui lui court après… L’humain n’est jamais content de ce qu’il a. Et le sen­ti­ment amou­reux est trop sou­vent syno­nyme de pos­ses­sion : je suis amou­reux donc j’ai des droits sur l’autre. Quelle iro­nie ! L’amour devrait, au contraire, libé­rer, mais pour cela il faut de la légè­reté. Reli­sons Kun­dera, notam­ment La valse aux adieux. Pour reprendre Bru­nel à mon pro­pos : « L’amour, – tou­jours non nommé –, s’efface devant ce qui ne fut même pas l’amour de l’amour, mais le goût de plai­sir, et du plai­sir à fleur de peau. » Suis-je (im)perméable à l’amour ?

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
Cio­ran n’aurait pas dit mieux. Le monde, la vie ne sont qu’absurdité, puisque tout est voué à l’échec, tout finit par la mort du sujet, donc autant s’amuser le plus pos­sible et sur­tout ne rien prendre au sérieux. Ami reli­gieux si tu me lis…

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Quel sera votre pro­chain défi ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tiens réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 22 sep­tembre 2014.

1 Comment

Filed under Entretiens, Poésie

One Response to Celui qui sans se plier est en quatre : entretien avec François Xavier

  1. sanda voïca

    L’allégresse de la vie PARFAITEMENT trans­po­sée dans celle de l’ECRITURE !
    Le résul­tat ? La JOIE sans fin…

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