Loin de tout romantisme, le travail de mémoire de Pascale Favre exploite à dessein le dessin pour compléter les trous d’oubli du langage écrit qu’au besoin elle scénarise. Il y a donc là tout un jeu de « mémoires de mémoires » où — astuce majeure — la voix de l’auteure reste « sourde », faussement naïve car jamais dupe du « caché». L’oubli rentre dans un jeu autant de préservation que de mise à distance non seulement du passé mais du bel aujourd’hui. Dans ces différentes trames, textes et dessins naviguent entre biographie et fiction et deviennent des principes de variation qui mettent en évidence ce qu’il en est de l’humain en l’ouvrant sur la question de la perte (de mémoire, de lieu, de genre) au moment où le réel lui-même est traité comme un découpage, un démembrement. L’artiste et auteure circonscrit des “ visibles ” perdus ou enfouis qu’elle « fictionne » parfois. De la sorte, elle précise par tentatives successives que la nuit est dans le jour, que le jour est dans la nuit.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil en hiver, la lueur du jour en été et les projets à venir tout au long de l’année.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je trotte sans monture dans le domaine artistique.
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux vacances.
D’où venez-vous ?
D’un petit pays.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
De la poésie contre le mariage.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
L’éloge de la paresse.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Arrêter le temps en dessinant ce qui se présente devant moi.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
De me passer de Facebook ? Plus sérieusement, je pense que chaque artiste développe sa singularité. En ce qui me concerne, il faudrait poser la question à d’autres artistes.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Un dessin de Miro.
Et votre première lecture ?
« Le Procès-verbal » de Le Clézio.
Pourquoi avec vous choisi le dessin comme principal médium ?
Dessiner est souvent une perte de temps : c’est ce qui le rend intéressant.
Quelles musiques écoutez-vous ?
De la musique baroque, de la chanson française (Bashung, Gainsbourg, Burger) et de la pop anglo-saxonne de préférence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Je me souviens » de Georges Perec et « I remember » de Joe Brainard.
Quel film vous fait pleurer ?
« Tabou » de Miguel Gomes.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une jeune fille qui vieillit mais pas une vieille fille !
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’hésite encore entre JLG ou J.M.G. (Le Clézio).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Caire.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
J’admire le travail de Marcel Broodthaers qui touche autant l’écriture que l’installation, la vidéo, la performance, la sculpture, l’édition… avec un humour qui nous interroge. Mais je n’oserais jamais parler de proximité entre son travail et le mien mais plutôt d’une ressource inépuisable.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un poème ou un dessin (ce que je reçois en général).
Que défendez-vous ?
La bienveillance.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Elle m’évoque à la fois mon incapacité d’en donner ma propre définition en même temps qu’elle m’éclaire à ce sujet.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Woody Allen devrait venir jeter un oeil le soir sur la Plaine de Plainpalais à Genève au « Yes to all » de Sylvie Fleury.
Quelle question ai-je oubliée de vous poser ?
Qu’aimeriez-vous changer ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, septembre 2014.
Pascale Favre, « Présent presque parfait », coll. Re:Pacific, art&fiction, 120 p ., 2014, CHF 27 / € 18. Exposition Galerie Robert Ketter, Kandern (Allemagne)