Une quête riche et passionnante
Comment, dans les temps anciens, se sont constituées des communautés ? Comment la réunion de quelques individus a fini par créer une société, une civilisation ? Étienne Guéreau reprend ces questions fondatrices dans un roman d’apprentissage d’une belle facture.
Ismène vit dans le Suspend, un village ancré sur la branche maîtresse d’un grand chêne. Elle participe à l’existence du clan, aux rituels qui jalonnent la journée et structurent le groupe. Ce groupe est perché pour échapper à Anne Dersbrevik, une ogresse qui tue tous ceux qui s’aventurent sur le sol. L’existence de la communauté est organisée en fonction de cette situation. Ismène fait partie de la seconde génération à être ainsi perchée. Mais, le jour où elle devient une femme, le village lui paraît étriqué. Ses seins se développent et attirent le regard, l’attention de Hamon, un garçon qui ambitionne de devenir chasseur… et plus.
La belle unité se fissure quand une fillette disparaît. L’échelle amovible qui permet aux chasseurs de rejoindre le sol a été descendue. Hamon fait naître la suspicion en suggérant l’existence d’une complicité, contre de menus avantages, entre un membre du clan et l’ogresse. C’est le début de la contestation de l’ordre établi. Ismène va se trouver entraînée, au risque de sa vie, dans une quête pour comprendre le sens des traditions inculquées et percer le secret qui menace la communauté.
L’histoire toute entière passe par la quête d’Ismène et le parcours qu’elle engage pour échapper à un destin. Étienne Guéreau utilise la pièce de Sophocle, Antigone, comme le fil rouge de son histoire. Nombre de ses personnages portent des noms issus de cette mythologie. Ainsi, Ismène, l’héroïne, n’est-elle pas la sœur d’Antigone ? Mais contrairement à la tragédie, Ismène par sa curiosité remettra en cause l’ordre établi en trouvant les origines du drame.
Le clan suspendu est un roman étonnant par la richesse de son contenu, par la vision globale de la vie d’un microcosme avec une exploration de tous les aspects de la vie en groupe dans un espace clos. L’auteur livre une étude complète sur un univers construit de façon cohérente. Il s’attache à en décrire, en détail, le fonctionnement. Il aborde, ainsi, l’espace vital, le péril que peut engendrer une population croissante et, derrière, les problèmes liés à la consanguinité. Dans cet espace restreint, il montre l’utilisation optimale des ressources, l’ingéniosité dont il faut faire preuve lorsque, par exemple, l’absence d’une alimentation équilibrée engendre des désordres et qu’il faut en trouver les remèdes. E. Guéreau appuie son histoire sur une organisation stricte de cette société, avec des rituels, des temps de réunions obligatoires tels qu’on les retrouve dans les sectes, les sociétés religieuses avec l’obligation de prières communes.L’auteur part d’une situation établie, avec un groupe constitué ayant déjà intégré des codes et des rites, une situation basée sur la peur d’un danger que personne n’a vu. En bas, il y a une ogresse. Mais, n’est-ce pas un péril imaginaire ? Pourquoi le groupe initial est-il venu se réfugier dans les airs ?
L’auteur, parallèlement au développement structurel de son univers, construit une intrigue offrant une vision plus large avec la découverte d’autres éléments, d’autres secrets, jusqu’à une conclusion finement amenée et novatrice. Le Clan suspendu se révèle une agréable surprise de la rentrée. Un livre à découvrir, pour sa construction minutieuse, sa richesse, tant en péripéties qu’en personnages de caractère.
serge perraud
Étienne Guéreau, Le Clan suspendu, Denoël, août 2014, 480 p. – 20,00 €.