Après vingt-quatre ans d’un mariage qu’il décrit comme idyllique avec Mylène, Jean-Baptiste rentre chez lui un vendredi soir, impatient à l’idée du week-end en Normandie qu’il a prévu avec sa femme. Sauf qu’en lieu et place de la douce Mylène, il trouve un mot sec posé sur le comptoir de la cuisine : « Je ne rentrerai pas ». Débute une violente descente aux enfers, la litanie des questionnements, des inquiétudes, des angoisses, les recherches infructueuses, l’errance… Et bientôt le bout d’un tunnel qui ne débouche pas vraiment où l’on s’attendait. Car Jean-Baptiste n’est peut-être pas l’époux exemplaire qu’il nous a décrit, et son mariage n’est peut-être pas le long fleuve tranquille auquel il nous/se force à croire. Peu à peu, aux souvenirs de l’amour fusionnel se mêlent ceux des incartades, des coups de canif dans le contrat.
Car les apparences sont trompeuses, dans ce roman de Gilles Bornais, et cela donne lieu à une introspection dans la psyché d’un homme tourmenté. Le lecteur erre avec lui dans un Paris froid et pluvieux, à Deauville, à Honfleur, à Étretat, sur les traces de son amour envolé, se pose avec lui les questions, tente de démêler l’écheveau. On se prend de compassion pour le pauvre homme abandonné sans une explication, qui ne se rend pas et tente par tous les moyens de comprendre ce qui lui arrive, fouillant dans la vie de sa femme, sans penser à fouiller dans la sienne propre. Pas étonnant, puisqu’il est myope (« 3 à chaque œil »), qu’il ne voie pas plus loin que le bout de son nez. Cela ne viendra que plus tard, mais pas sans l’intervention d’une fille lointaine et glaciale qui a manifestement pris le parti de sa mère, d’un fils qui se soucie de son père comme d’une guigne et d’une psychologue de couple quasi mutique. Le temps s’étire, les jours se répètent à l’instar des sonneries du téléphone de Mylène qui s’égrènent sans que jamais elle ne réponde. Et pourtant elle n’est jamais loin, elle est même au centre du roman, même si telle l’Arlésienne jamais on ne la rencontre autrement qu’à travers les souvenirs de son mari.
Après de nombreux thrillers, Gilles Bornais nous propose avec J’ai toujours aimé ma femme ce qu’il qualifie lui-même de « roman d’amour noir ». Et en effet, il y a là de l’amour, mais aussi du suspense, une intrigue plutôt bien ficelée et dont les rouages ne nous apparaissent que peu à peu, sans péripéties extraordinaires, certes, mais avec un joli retournement de situation. Et en filigrane, une réflexion sur le couple, l’amour et la fidélité.
agathe de lastyns
Gilles Bornais, J’ai toujours aimé ma femme, Fayard, août 2014, 249 p; – 18,00 €