Un recueil hautement recommandable
Après la correspondance de Colette avec Musidora, que nous avons recensée ici, les éditions de L’Herne nous offrent un recueil exhaustif des articles que la romancière fit paraître au cours de la Première Guerre mondiale – lecture des plus appropriées pour cette année de commémoration.
Parmi les mérites de l’ouvrage, le plus paradoxal consiste à nous faire mesurer l’écart entre la tournure d’esprit courante d’une Française de l’époque (le lectorat de Colette était essentiellement féminin) et celle d’aujourd’hui : le degré de chauvinisme qu’il était requis de manifester, l’enthousiasme martial et les diatribes de l’auteur contre les défaitistes sont étonnants autant qu’instructifs.
D’autres articles donnent l’impression d’assister en temps réel à des scènes de la vie militaire ou civile – Colette y déploie tout son art de saisir et de restituer en quelques phrases une situation avec une vivacité maximale. Vous ne reverrez plus jamais le métro sans vous rappeler certaines descriptions, hilarantes, de dames parées de voiles, de “bêtes de cou“ et d’épingles à chapeau, traversant un wagon truffé de poilus à l’heure de pointe. Aussi drôle par moments, quoique plus sombre, une lettre de militaire (probablement fictionnelle) vous apprendra comment “La Guerre sauva la vie de son maître“ – le sauveteur ainsi nommé étant un chien aux talents prodigieux (p. 127). Un autre guerrier (indubitablement fictionnel) juge Colette “digne de la confidence qui va suivre, pour l’intérêt [qu’elle] accord[e] d’habitude aux sujets sans importance, et pour [son] aimable inaptitude aux grands problèmes sociaux et stratégiques“ (p. 156) ; ce macho censément moins futile que l’auteur lui confie donc une histoire de haut-de-forme que sa femme aurait raillé et abîmé, quelques années plus tôt, avant de finir par se coiffer d’un couvre-chef similaire — audace révélatrice des changements sociétaux entraînés par la guerre.
Plus touchant, et sans doute basé sur des conversations réelles, un autre texte évoque la façon dont la guerre change le regard des hommes, parfois pour le mieux : un officier que l’on “press[ait] de peindre sa tranchée, ses assauts, son existence de combattant“ préfère parler du petit chat qu’on avait recueilli dans son abri, avec émerveillement, n’ayant jamais “eu idée“, jusque-là de “ce que pouvait être un petit chat“ (pp. 168–169). Enfin, vous connaîtrez le phénomène tragicomique que Colette appelle “une Inquiétée“, et qui suffit en soi à résumer l’air du temps d’une certaine période.
Quoique les articles ne soient pas tous du meilleur niveau de Colette, ce petit volume est hautement recommandable pour sa valeur historique comme pour le plaisir que procure sa lecture.
agathe de lastyns
Colette, Une Parisienne pendant la Grande Guerre, L’Herne, mai 2014, 253 p. – 15,00 €