Hommage fort réussi à Hitchcock
Les lecteurs qui ont envie d’un bon polar savent qu’ils peuvent sans hésiter se tourner vers Linwood Barclay, un maître en la matière. Si ses ouvrages ne sont toutefois pas tous de qualité égale, je recommande le dernier en date paru aux éditions Belfond, Fenêtre sur crime. Et le titre n’est pas trompeur, la parentèle ou l’hommage à Fenêtre sur cour ne réside pas uniquement là : je dirais que Barclay nous propose une sorte de version 3.0 du scénario d’Hitchcock.
L’histoire met en scène Thomas Kilbride, jeune homme à tendance schizophrénique qui passe le plus clair de son temps dans sa chambre, devant les écrans de ses ordinateurs, plus précisément sur Whirl360 – sorte d’équivalent de Google Street View. Des heures durant, Thomas observe les villes du monde entier, méthodiquement, précisément, au point d’en mémoriser les moindres détails. À la mort de son père chez qui il vivait, c’est son frère aîné, Ray, qui vient à la maison en vue de régler la succession et de trouver une institution où placer son frère. Sauf que Thomas, au cours de ses pérégrinations virtuelles, assiste sur son écran à une scène bien réelle : une personne en train de se faire étouffer avec un sac en plastique devant sa fenêtre du Lower East Side à Manhattan. Le problème, c’est que Thomas perd un peu en crédibilité quand il affirme que c’est la CIA qui lui a donné pour mission de mémoriser les villes du monde entier, pour le jour où une catastrophe détruira toutes les données existantes. À force d’insister, il parvient néanmoins à convaincre son frère de mener l’enquête. Malheureusement, la tentative maladroite de Ray, talentueux illustrateur mais piètre détective, ne fait qu’éveiller les craintes d’une dangereuse bande de truands sociopathes. Les deux frères se retrouvent bientôt embarqués dans une histoire qui les dépasse.
À une intrigue fort bien menée et semée de fausses pistes savamment distillées, Barclay allie le talent de la création des personnages, principaux et secondaires. La relation distendue entre deux frères – dont un qui nous est décrit comme schizophrène mais dont les symptômes s’apparentent plutôt à ceux d’un malade du syndrome d’Asperger – qui se retrouvent suite à la mort subite du père (accidentelle ?), les politiciens corrompus, les avocats pourris, les tueurs à gage – notamment Nicole, l’ancienne vice-championne olympique aux barres asymétriques que son père n’a jamais su apprécier ni aimer, aujourd’hui reconvertie en tueuse à l’arme blanche –, la pédophilie, la disparition de la vie privée à cause d’Internet et même le début d’une histoire amoureuse, qui ne fonctionne que parce que Barclay évite soigneusement de lui fournir trop d’oxygène, sans parler d’une apparition présidentielle… Voilà qui pourrait faire beaucoup, si l’auteur n’excellait dans le tissage-détissage de son histoire, autant en l’occurrence que dans la peinture des émotions et de l’évolution des personnages. Une excellente lecture, donc, même si l’été et la plage s’éloignent.
agathe de lastyns
Derrière les fenêtres, des vies parfois, se perdent
Internet est une fenêtre ouverte sur le monde, et permet à plus d’une personne de sortir de son quotidien morose et de voyager virtuellement. C’est encore plus vrai pour Thomas Killbride, la trentaine, qui n’a quasiment pu quitter sa maison depuis quinze ans. Agoraphobe, et schizophrène, il parcourt la planète depuis sa chambre, grâce à l’appication Whirl360, un site de cartographie en ligne, qui permet à tout le monde d’arpenter virtuellement les rues de n’importe quelle ville.
C’est en s’adonnant à sa passion que Thomas se persuade un jour qu’il a aperçu le visage d’une femme qu’on étouffait dans un sac en plastique à Manhattan. Paniqué, il ne sait pas à qui se confier et surtout quoi faire pour venir en aide à cette femme, en espérant qu’il n’est pas trop tard pour la sauver. Une seule personne semble en mesure de l’aider : son frère Ray, venu à Promise Falls pour les funérailles de leur père, et régler leur succession. Ray croyait pourtant bien avoir réussi à se tenir à l’écart de la folie de Thomas, et espérait poursuivre en toute sérénité sa vie de dessinateur.
Seulement, cette fois, il se pourrait que Thomas ait raison, et qu’un tueur opère en toute impunité à New York. Ray va devoir balayer toutes ses certitudes, et faire confiance à son frère malade. S’engage alors une course contre la montre, qui risque fort de se révéler périlleuse, voire mortelle…
Linwood Barclay, Canadien d’origine, nous livre une fois encore un thriller palpitant, que Stephen King qualifie lui-même comme son meilleur. Depuis quelques années, Linwood Barclay est entré dans la cour des grands du polar, faisant concurrence à de grands noms comme Harlan Coben ou Lisa Unger. Après Cette nuit là, Les voisins d’à côté, ou Ne la quitte pas des yeux, il réussit à nouveau à camper des personnages attachants, énervants parfois (pas facile de gérer les crises de Thomas) dans la petite ville qui lui a déjà servi de décor, Promise Falls. Il a le don de nous faire croire que ses héros pourraient être nos voisins, prisonniers de leurs névroses, se battant au quotidien pour réussir au mieux leur vie. Ici, les deux frères font non seulement face à un deuil, celui de leur père, mais doivent aussi accepter les différences de l’autre et enfin s’unir et trouver une complicité en se lançant sur la piste d’un tueur. Le doute nous envahit à chaque page, et restera présent sur un point jusqu’à la dernière.
L’auteur nous montre aussi combien un outil comme Internet a fait irruption dans nos vies en quelques années pour devenir quasi essentiel à la grande majorité. Parfois, c’est le seul contact que certains maintiennent avec ce qu’ils croient être le monde extérieur, la seule fenêtre que l’on garde ouverte 24h sur 24, sur un univers fascinant mais dangereux aussi. Il y a un peu de Thomas en chacun de nous, et c’est bien cela qui peut le plus nous effrayer dans ce livre. Derrière nos écrans, on oublie de communiquer parfois avec nos proches, ou de faire connaissance réellement avec des personnes à deux pas de nous. Thomas n a peut-être pas le choix, lui, car il est vraiment freiné par sa maladie, mais nous, nous l’avons, et comme Ray, nous pouvons arpenter le monde “en vrai” pour y découvrir sa beauté.
A noter le clin d’œil du traducteur en choisissant un titre qui n’est pas sans rappeler le chef-d’œuvre d’Hitchcock, Fenêtre sur cour, où le voyeurisme permet aussi de résoudre un crime. Bien vu ! Alors, oserez-vous ouvrir la fenêtre ?
franck boussard
Linwood Barclay, Fenêtre sur crime, traduit de l’anglais (Canada) par Renaud Morin, Belfond, coll Noir, avril 2014, 468 p. – 21,90 €