Dès ses études de philosophie et de littérature, Fabian Gastellier devient critique de cinéma et de théâtre (« F Magazine », « Elle » , « le Masque et la Plume » « France Inter) puis reporter. Militante contre la peine de mort, elle traduit le récit de R-M Rossi, Dix-sept ans dans le couloir de la mort (Fayard). En 2010, elle crée les éditions Notes Nuit, d’abord pour republier l’œuvre de Jean-Pierre Faye tout en continuant à travailler dans le milieu de l’art contemporain. Ses collections « La Beauté du geste » et « Le passé immédiat » montrent le poids de la censure des dictatures idéologiques du XXème siècle sur les artistes et permettent la production de documents de déportés des camps.
Enfin, et quoiqu’elle le dise, la créatrice est aussi romancière et biographe ( L’Hôtel (Stock), Angélique Arnauld (idem) et Le Voyage d’Alberto et autres nouvelles (Notes de Nuit éditions). Chez l’auteure, l’écriture joue le jeu du désir (bien plus large que celui de la sexualité) pour en disposer autrement et afin que le lecteur change sa vision du monde. Les textes ne délient jamais les corps de leur contexte. Le travail de l’écriture comme de l’édition est l’épreuve de recommencements. Son pouvoir n’est pas d’illusion mais de prise face à tout ce que dérobe et réécrit l’idéologie dominante.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le fait même que je me lève. Il y a tant à faire en si peu de temps.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je n’ai aucun “rêve d’enfant”. Je crois que je n’ai pas connu l’enfance, cette invention du XIXème siècle. J’ai eu des rêves d’adolescentes. Ils sont toujours vivants.
A quoi avez-vous renoncé ?
A croire que l’homme de ma vie était toujours vivant.
D’où venez-vous ?
D’un milieu bourgeois — médecins. Mais bien plus, de l’école laïque et républicaine qui n’existe plus. Je dois énormément à certains de mes professeurs.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un ex-mari.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Rien. Je suis privilégiée en cela. J’ai fait mille choses sans avoir à plaquer quoi que ce soit. Je suis passée de vie en vie, sans regrets.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Un bon petit verre de Shiraz rouge d’Australie. Quotidien (aïe).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Sans doute le fait que je ne sois pas un écrivain. J’ai publié un roman et une biographie puis tiré un trait sur l’écriture sans la moindre souffrance.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Je devais avoir 6 ans. Ma mère m’emmenait de musée en musée. Je suis restée toute une longue minute devant les nymphéas de Monet. Je m’en souviens très bien.
Et votre première lecture ?
Un cadeau de mon père, qui était assez étrange (mon père, pas le cadeau — encore que): Tout Edgar Allan Poe. La première lecture qui compta.
Pourquoi avez-vous décidé de sauter le pas et devenir éditrice ?
Pour pouvoir rééditer l’oeuvre de Jean-Pierre Faye.
Quelles musiques écoutez-vous ?
C’est très variable. Brahms n°1 par Abendroth, Bach par Scott Ross. Wagner, Toscanini, toujours, Leonard Cohen, Les Deep Purple, Véronique Sanson, Led Zeppelin, Janis Joplin.… et “Hurt”, le dernier titre de Johnny Cash, à vif.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Des passages de Claudel. C’est nécessaire.
Quel film vous fait pleurer ?
“India Song”
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi-même. Sinon c’est inquiétant, non ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Luis Buñuel.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Doolin, en Irlande.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Faye, Blanchot, Giacometti, Joan Mitchell. Mais c’est très prétentieux.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Mais c’est mon anniversaire tous les jours puisque je fais ce que j’aime !
Que défendez-vous ?
La tolérance (même s’il y a des maisons pour ça).
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Qu’elle va très bien avec son auteur. Lire “Un père” de sa fille Sibylle Lacan.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Que le Talmud est très marrant.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Vous seul le savez.
Présentation et entretien réalisés un samedi soir sur la terre, le 30 août 2014 pour le litteraire.com par jean-paul gavard-perret.