Notes de Nuit, poursuivant son travail de renaissance, publie le livre le plus sensuel et le plus cruel de Jean-Pierre Faye. Entre poésie et récit, sans perdre l’engagement qui fait la force de l’œuvre, se déploie une prose océane et tellurique. Au milieu du chaos bosniaque (entre autres) éclatent les impudeurs d’amour le plus vibrant. Le sang des massacres se mêle à celui des féroces morsures. Le corps féminin est à la fois objet de culte et de mépris. Faye brouille les repères : deux lieux, deux femmes (Lioube et/ou Nizam) si bien que le narrateur s’agrippe désespérément à elles — sans savoir au juste laquelle — dans un monde devenu fou quel que soit le lieu où l’on se tourne.
Visuel, ce livre ouvre à des problématiques existentielles et politiques où les notions de joug et de liberté sont essentielles. Les concepts de légalité, d’illégalité, de don, de largesse, de calcul et probité sont revisités dans une langue qui se dispense d’une position libérale (cette nouvelle déclinaison de l’humanisme) afin d’ouvrir le monde comme la fiction à une échancrure qui est autant blessure que (possible ?) rédemption.
Un tel texte est plutôt chant que récit sous l’égide du tigre et jamais de son onguent. Rien à sauver de l’homme tandis que la beauté de la nature offre un contrepoint terrible et une mise en abyme. De chacun de ses points ou de ses lieux, du livre ne restent que des coups de mains et des massacres programmés. La femme en est la victime mais reste pourtant celle qui pourrait sauver l’humanité. Toutefois, plutôt que d’épouser l’amour, l’homme préfère épouser le passé pour que la terreur suive son cours. Et ça, depuis la Bible. Souvenons-nous de ce que disait Michaux : « Au commencement, la répétition ».
jean-paul gavard-perret
Jean-Pierre Faye, Didjla le tigre, éditions Notes de Nuits, Paris, 2014, 148 p. — 12,00 €.