Dezeuze et le passage des rythmes
Le ” sans-forme ” n’est pas l’informe chez Dezeuze. La plénitude ouverte n’est pas sans confins. Les formes se fixent selon des tramages, claies, clôtures et selon les rythmes de leurs structures et de leurs croisements. La peinture devient matrice et attente dans cet excès qui n’est pas l’ordre du nombre et de la répétition mais du retrait, de la distance au moment où pourtant quelque chose prend forme contre le néant et le hante. L’art devient le lieu où l’image à la fois se délite et résiste. Le rempart des montages frange une forme encore à venir. Une telle peinture rend ainsi le néant plus proche et plus lointain à la fois. Car voici le paradoxe : le visible semble se dissoudre dans le néant qu’il dissout. Cette rencontre est désirable pour certains. Nécessaire pour tous.
Là où au lieu de se confronter avec le langage propre de la peinture, trop d’artistes musardent en croyant émanciper leur art mais en le réduisant à un média tout compte fait interchangeable et qui tient plus du « design » que de l’art, Dezeuze crée des trames et des « échiquiers ». Une telle recherche présente non la réalité mais la force d’une fouille éloignée des leurres de l’apparence. Certes, nul ne peut s’endormir en se délectant placidement devant un tel travail. Dezeuze récuse toute posture, tout voyeurisme, toute contemplation sereine ou détachée. Son approche exige une plongée au sein d’entrelacs afin de défier l’abstraction institutionnalisée qui est devenue une pâle marâtre qui refuse de s’affronter — se repliant sur elle-même — à la mort qu’elle a stratifiée afin de créer un empire superfétatoire.
Le tramage provoque toutefois chez Dezeuze une hallucination, une exaltation. On peut appeler cela un art critique où les formes évoquent une sorte sinon d’allégresse du moins de sentiment éperdu de présence par effet rythmes des formes et des couleurs. L’espace pictural se réenchante (au moins partiellement) dans la pratique du retrait figuratif pour un figural qui arrache à la longue nostalgie qui règne dans l’art. Dezeuze fait de ses expériences un futur. Il refuse les séductions factices d’œuvres qui ne sont que des « filles à soldats » (Tal Coat) comme il s’oppose la négativité dont sont si friands certains intellectuels en proie au génie des noces blanches et des messes noires.
Dezeuze demeure un « vrai » créateur. Nul ne pourra lui retirer sa vitalité, sa conscience presque trop exigeante : elles font de sa recherche un art jamais retors. Celui-ci n’appartient pas à l’ordre de ces vagues éclairs qui consument puis s’éteignent dans leur matrice d’ombre et réduisent les regardeurs à des passants ou à des enfants répudiés. Ils sont pour l’artiste et à l’inverse des semblable, des frères à qui son œuvre « parlent ».
jean-paul gavard-perret
Daniel Dezeuze, Battements, chemins, Galerie Daniel Templon, Paris 3ème, du 6 septembre au 25 octobre 2014.