Une Amérique des inégalités coupée en deux mondes
Trois femmes noires américaines sont surnommées les Suprêmes depuis leur adolescence. A l’image du groupe des années 70, elles sont devenues inséparables et ont pris l’habitude de se retrouver tous les dimanches dans le restaurant de Big Earl pour y partager leurs derniers soucis ou instants de bonheur conjugaux.
Odette, la narratrice, est née dans un Sycomore et a l’étrange don de communiquer avec les morts, qui lui rendent visite à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, ce qui ne va pas sans lui causer quelques désagréments. Clarice, ancienne pianiste talentueuse, subit au quotidien les infidélités de son mari, et seule sa foi inébranlable lui permet de tenir le cap.
Barbara Jean , quant à elle, reste la pulpeuse séductrice du groupe, sur laquelle les hommes continuent à se retourner.
A l’approche de la soixantaine, chacune va voir sa vie basculer et changer irrémédiablement, et pourra s’appuyer sur la solide amitié qui les relie.
Les Suprêmes est le premier roman d’un violoncelliste professionnel noir américain, qui raconte avec vivacité, tendresse et humour, l’amitié de trois femmes sur plusieurs décennies. Le regard d’homme que porte l’auteur sur les relations femmes-hommes ou amicales, est des plus justes et l’on pourrait croire que lui aussi les retrouve tous les dimanches dans cette cafétéria animée pour y apprendre et y conter les derniers potins. Il décrit avec beaucoup de réalisme les liens forts et sincères qui se sont tissés entre ces trois femmes à travers une Amérique qui s’ouvre progressivement à la mixité sociale et où la ségrégation disparaît avec bien du mal dans les états du Sud. Nous sommes dans les années 2000 quand commence le roman, mais les nombreux flashbacks permettent peu à peu de mieux cerner Odette, Clarice, et Barbara Jean et les épreuves qu’elles ont pu surmonter. Par exemple, tomber amoureuse d’un jeune homme blanc paraissait inconcevable dans les années 60, et l’une d’elles va connaître un amour à la Roméo et Juliette, tentant de braver les différences, et se heurtant à l’incompréhension et la haine.
Il est cependant dommage que l’auteur ne mette pas plus en scène la ségrégation, et ne s’en serve par moment que comme décor de cette amitié. Sans sombrer dans la caricature, il aurait peut être pû fournir un portrait plus poussé de cette Amérique des inégalités coupée en deux mondes.
Bien sûr, son propos est tout autre, celui de nous persuader que l’amitié vraie permet de tout surmonter : mariage bancal, rivalités familiales, maladie… en cela, il y réussit parfaitement, et l’on s’attache vite à ces trois femmes, que l’on ne veut pas voir partir. Tout comme l’auteur, qui fournit peut être pour cette raison une fin un peu invraisemblable. Sachant qu’il travaille déjà à une suite, on peut comprendre qu’il n’ait pas voulu mettre à mal nos trois compères, qui ont déjà connu bien assez de difficultés dans leurs vies respectives.
Alors, vous sentez-vous prêts à fredonner un titre des Suprêmes, et à danser au rythme de leurs vies palpitantes ?
franck boussard
Edward Kerlsey Moore, Les suprêmes, Actes Sud, 2014, 320 p.