Edward Kerlsey Moore, Les Suprêmes

Une Amé­rique des inéga­li­tés cou­pée en deux mondes

Trois femmes noires amé­ri­caines  sont sur­nom­mées les Suprêmes depuis leur ado­les­cence. A l’image du groupe des années 70, elles sont deve­nues insé­pa­rables et ont pris l’habitude de se retrou­ver tous les dimanches dans le res­tau­rant de Big Earl pour y par­ta­ger leurs der­niers sou­cis ou ins­tants de bon­heur conju­gaux.
Odette, la nar­ra­trice, est née dans un Syco­more et a l’étrange don de com­mu­ni­quer avec les morts, qui lui rendent visite à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, ce qui ne va pas sans lui cau­ser quelques désa­gré­ments.  Cla­rice, ancienne pia­niste talen­tueuse, subit au quo­ti­dien les infi­dé­li­tés de son mari, et seule sa foi inébran­lable lui per­met de tenir le cap.
Bar­bara Jean , quant à elle, reste la pul­peuse séduc­trice du groupe, sur laquelle les hommes conti­nuent à se retour­ner.
A l’approche de la soixan­taine, cha­cune va voir sa vie bas­cu­ler et chan­ger irré­mé­dia­ble­ment, et pourra s’appuyer sur la solide ami­tié qui les relie.

Les Suprêmes est le pre­mier roman d’un vio­lon­cel­liste pro­fes­sion­nel noir amé­ri­cain, qui raconte avec viva­cité, ten­dresse et humour, l’amitié de trois femmes sur plu­sieurs décen­nies. Le regard d’homme que porte l’auteur sur les rela­tions femmes-hommes ou ami­cales, est des plus justes et l’on pour­rait croire que lui aussi les retrouve tous les dimanches dans cette café­té­ria ani­mée pour y apprendre et y conter les der­niers potins. Il décrit avec beau­coup de réa­lisme les liens forts et sin­cères qui se sont tis­sés entre ces trois femmes à tra­vers une Amé­rique qui s’ouvre pro­gres­si­ve­ment à la mixité sociale et où la ségré­ga­tion dis­pa­raît avec bien du mal dans les états du Sud. Nous sommes dans les années 2000 quand com­mence le roman, mais les nom­breux fla­sh­backs per­mettent peu à peu de mieux cer­ner Odette, Cla­rice, et Bar­bara Jean et les épreuves qu’elles ont pu sur­mon­ter. Par exemple, tom­ber amou­reuse d’un jeune homme blanc parais­sait incon­ce­vable dans les années 60, et l’une d’elles va connaître un amour à la Roméo et Juliette, ten­tant de bra­ver les dif­fé­rences, et se heur­tant à l’incompréhension et la haine.
Il est cepen­dant dom­mage que l’auteur ne mette pas plus en scène la ségré­ga­tion, et ne s’en serve par moment que comme décor de cette ami­tié. Sans som­brer dans la cari­ca­ture, il aurait peut être pû four­nir un por­trait plus poussé de cette Amé­rique des inéga­li­tés cou­pée en deux mondes.

Bien sûr, son pro­pos est tout autre, celui de nous per­sua­der que l’amitié vraie per­met de tout sur­mon­ter : mariage ban­cal, riva­li­tés fami­liales, mala­die… en cela, il y réus­sit par­fai­te­ment, et l’on s’attache vite à ces trois femmes, que l’on ne veut pas voir par­tir. Tout comme l’auteur, qui four­nit peut être pour cette rai­son une fin un peu invrai­sem­blable. Sachant qu’il tra­vaille déjà à une suite, on peut com­prendre qu’il n’ait pas voulu mettre à mal nos trois com­pères, qui ont déjà connu bien assez de dif­fi­cul­tés dans leurs vies res­pec­tives.
Alors, vous sentez-vous prêts à fre­don­ner un titre des Suprêmes, et à dan­ser au rythme de leurs vies palpitantes ?

franck bous­sard

Edward Kerl­sey Moore, Les suprêmes, Actes Sud, 2014, 320 p.

 

 

 

 

 

 

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