Brillant d’échantillon du meilleur de la littérature russe contemporaine
En 2008, j’avais salué ici la première traduction française d’un roman de Dmitri Lipskerov, Le Dernier rêve de la raison, due à Raphaëlle Pache – qui a le mérite de nous avoir fait découvrir ce grand auteur contemporain. Les Editions du Revif nous proposent un autre de ses livres, Léonid doit mourir, qui saura certainement lui attirer de nouveaux lecteurs et consolider sa réputation en France.
On reconnaît ici le mélange particulier de vérisme et de fantastique propre à l’auteur, qui lui permet de réunir dans un seule et même récit un fœtus de génie, une vieille vétérane de la Seconde Guerre mondiale, sniper et mannequin qui a en outre vocation à être la dernière compagne des militaires voués à mourir sous peu, ainsi que des créatures allant du plus prosaïque, tels les mouchards, aux plus improbable, tel le lézard susceptible de vous rendre immortel.
Cet univers d’imaginaire pratiquement illimité permet à Lipskerov de parler en même temps de façon indirecte de la réalité de plusieurs décennies de l’histoire soviétique et russe, et de problèmes métaphysiques d’ordre universel. Les deux protagonistes, Léonid et Angelina, sont a priori séparés par plusieurs générations et par des circonstances qui devraient les empêcher de jamais se rencontrer. Pourtant ils vont le faire, et à plus d’une reprise, suivant la logique imprévisible du récit, dont l’exemple le plus frappant tient au fait que la vieille sniper est incapable à certains moments de s’empêcher de tirer sur tout ce qui bouge – littéralement – sans même savoir quelle est sa cible.
Le parcours de Léonid, de fœtus à homme capable de léviter, est exemplaire de l’originalité des personnages lipskeroviens. Son grand avantage est de toujours surprendre et de susciter un réseau d’idées et d’associations qui suggère plusieurs lectures symboliques sans jamais en imposer aucune. Ainsi, le lecteur peut être tenté de lier le destin de Léonid, génie qui n’aura rien fait de mieux que de s’enrichir par des actes criminels, au sort de nombre de gens doués qui ont vécu sous le régime soviétique, dans des conditions propres à les empêcher d’accomplir la meilleure part d’eux-mêmes et à développer chez eux l’agressivité ou la tendance à l’autodestruction. Mais d’un autre point de vue, le protagoniste peut aussi être perçu comme une incarnation de la complexité des contradictions de la nature humaine. De même qu’Angelina, qui est à la fois profondément compatissante et capable de tuer à volonté, sans en éprouver le moindre remords du moment qu’elle a un fusil entre les mains.
Pour ménager au lecteur le plaisir de la découverte, je ne vais pas en dire davantage sur les personnages, ni sur l’action de ce roman remarquable et magistralement traduit. Je vous le recommande vivement, à titre d’échantillon du meilleur de la littérature russe contemporaine et comme aperçu riche d’enseignements de l’histoire russe du 20ème siècle.
agathe de lastyns
Dmitri Lipskerov, Léonid doit mourir, Éditions du Revif, mai 2014, 451 p .– 20,00 €