Manuel Müller est un sculpteur d’exception. Chacune de ses œuvres — surgie comme un tout – est le résultat d’un geste singulier qui semble magnétiser la matière en rassemblant le plus rupestre et le plus contemporain. L’artiste remonte le courant des arts vers sa source inaccessible. Glace et brûlure s’y confondent. Ici, la sculpture se méfie de la beauté, du lyrisme. Elle se méfie d’elle-même. Mais elle contient l’instinct du ciel et de la terre. Vigie aussi dérisoire qu’absolue, elle témoigne des émotions les plus profondes de leur créateur comme d’un ailleurs qui s’éloigne.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La sculpture pas terminée ou celle à commencer.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont toujours là.
A quoi avez-vous renoncé ?
A la vie d’artiste.
D’où venez-vous ?
De la banlieue, pas du centre.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Les dons et l’exigence éthique de mes parents.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Une vie de débauche.
Un petit plaisir –quotidien ou non ?
Nager et boire quelques verres de Bordeaux.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne suis pas un artiste, je suis un facteur d’icônes (les miennes).
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Parmi les multiples objets collectionnés par mon père, difficile à dire. Océanie, Moyen Age, Afrique, Mésopotamie.
Et votre première lecture ?
Esthétiquement parlant, Borgès.
Pourquoi privilégiez-vous le bois en tant que matière “première” ?
J’ai commencé avec le marbre, le bois est venu quelques années plus tard et très vite je ne me suis plus posé la question du matériau, c’est ma feuille de papier à moi.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Autrefois beaucoup de musique classique, maintenant presque plus, les sculpteurs deviennent sourds.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Hermann Hesse, « Le loup des steppes », et « Narcisse et Goldmund ».
Quel film vous fait pleurer ?
Les films qui me font pleurer m’attaquent par traîtrise. J’adore Tarkovsky et Bergman.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un égocentrique vieillissant qui y croit encore un peu.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ose jamais écrire, le verbe n’est pas mon vocabulaire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Carrara, où j’ai commencé à sculpter.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Les “bruts”, et ceux que l’on nomme “outsiders“
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La gloire, ou au moins une bouteille de pur malt.
Que défendez-vous ?
Pas grand-chose, je suis peu militant, très sceptique.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Malgré le fait que je n’apprécie pas beaucoup Lacan — “l’art est le dernier rempart contre la mort”, ou une connerie du genre -, le cynisme de cette phrase-ci me parle.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Le sens de l’humour un peu facile qui permet de s’en sortir brillamment en société.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
The meaning of life, mais je n’ai pas la réponse.
Présentation et entretiens réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 juin 2014.
Manuel Müller est représenté par la galerie Dubner Moderne de Lausanne.