Clémence Boulouque, Sujets libres

Pour son second roman, Clé­mence Bou­louque inves­tit le champ de la lit­té­ra­ture et use des liber­tés qui lui sont offertes

P
our son second roman, Clé­mence Bou­louque inves­tit le champ de la lit­té­ra­ture et use des liber­tés qui lui sont offertes. Sujets libres, annonce-t-elle dès le titre. Cer­tains sont abor­dés avec gra­vité, d’autres avec plus de légè­reté, en appa­rence du moins.

Partir à la recherche de son his­toire, retrou­ver ses racines, celles dont on refuse de lui par­ler, qui semblent lui être cachées. Visi­ter sa terre d’origine, pour être en paix avec elle-même. Pour mieux vivre, pense-t-elle. Vio­laine Bel­la­sen pour­rait être une de ces grandes héroïnes de roman, un per­son­nage aux nobles pro­jets, por­tée par une oeuvre à thèse. Mais c’est sans pré­ten­tion que Clé­mence Bou­louque, esquisse ici une figure de por­ce­laine, fra­gile et sen­sible. Son per­son­nage est une femme chez qui les grands com­bats cachent en réa­lité des failles plus ténues, sim­ple­ment humaines. L’enquête généa­lo­gique fait bien­tôt place à un par­cours plus per­son­nel, plus en phase avec le quo­ti­dien. Il s’agit de se connaître au jour le jour, de se com­prendre. Les nobles quêtes seront pour plus tard. Pour­quoi Vio­laine se perd-elle dans tous ces bou­lots, sans qu’aucun ne puisse la satis­faire ? Pour­quoi s’entêter avec Ben­ja­min qui de toute évi­dence ne l’aimera jamais vrai­ment ? Pour­quoi conti­nuer à voir ses parents à qui elle ne res­semble déci­dé­ment pas ? Autant de ques­tions aux­quelles il faut pou­voir répondre quand quelque évé­ne­ment imprévu finit par les imposer.

Et en effet, de simples recherches sur Sime­non pour un pro­jet cinéma dont elle ignore tout, bou­le­versent sa vie entière et sou­lèvent une mul­ti­tude de ques­tions. A l’instar du roman­cier et de ses polars tor­tu­rés, tout devient alors sujet à enquête pour Vio­laine. Les habi­tudes sont ana­ly­sées, le quo­ti­dien regardé de prés. L’héroïne se fait détec­tive de sa propre vie dans une intros­pec­tion sen­sible, délais­sant ainsi, pour un temps, les géné­ra­li­tés uni­ver­si­taires et les grands idéaux. Elle revient à l’existence humaine, à l’échelle qui lui cor­res­pond. Et l’écriture de Clé­mence Bou­louque fait de même. La pers­pec­tive s’élargit, le regard porté sur le monde prend de l’ampleur et l’on aban­donne le cadre rétréci du per­son­nage unique dont l’existence mono­po­lise les pas­sions et les sen­ti­ments. Ce qui n’était perçu qu’au tra­vers de Vio­laine est par­tagé par des figures annexes. Le per­son­nage de Ben­ja­min ne reste pas à l’état d’ombre amou­reuse, il prend corps, il est là, dans son dis­cours, dans son carac­tère qui se des­sine plei­ne­ment. De même Yaël, magni­fique figure de jeune femme, s’affirme bien­tôt en contre­point de l’héroïne. Son des­tin rela­ti­vise celui de Vio­laine, l’adoucit. Rési­dant à New York, elle est une “vic­time affec­tive” des atten­tats du 11 sep­tembre. Dès lors il lui est impos­sible d’avaler quoi que ce soit, elle se laisse mou­rir peu à peu. Ses pré­oc­cu­pa­tions semblent pour­tant infon­dées : ce jeune homme sur lequel elle pleure, le connaissait-elle vrai­ment ? Non certes, mais ils auraient pu faire un bout de che­min ensemble, la vie aurait pu conti­nuer, si seule­ment…
 
C’est dans l’appréhension du monde par les condi­tion­nels super­po­sés, ces “si seule­ment” qui dépassent le concret des choses, que l’écriture de Clé­mence Bou­louque se donne à lire. Son regard dévié sur la vie porte en lumière le quo­ti­dien et ses ques­tion­ne­ments appa­rem­ment futiles. Les grands sujets que la lit­té­ra­ture aime à trai­ter sont lais­sés de côté, le temps d’un ouvrage. L’affectif, l’intime et ses pro­blé­ma­tiques infi­nies per­mettent peut-être d’aller plus loin, plus pro­fon­dé­ment, et nous touchent, lec­teurs sim­ple­ment humains, dans notre for inté­rieur.

la redac­tion

     
 

Clé­mence Bou­louque, Sujets libres, Gal­li­mard NRF, 118 p. 10,50 €.

 
     
 

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