Marc Pessin (ci-contre) a mis plus de cinq ans pour confectionner la boîte noire et les gravures de son Bibliotaure. L’artiste remonte ainsi à la source de l’arpentage physique (au sein du massif de Chartreuse) et poétique (devant sa page blanche) de Pierre Péju et propose aussi son archéologie de la trace humaine. Celui qui , après avoir été un des graveurs majeurs de l’époque , s’est doublé de ce qu’il nomme un « naturaliste » a donc trouvé dans le poète un limier idéal. Cherchant une bibliothèque souterraine dans les plis de calcaire de la Chartreuse, il a découvert ce qu’il nomme une « tombe qui contient le monde » et qui est la sépulture incandescente où l’Imaginaire tel Lazare se relève. Du lieu, Marc Pessin a dressé ce qu’il appelle la « Maquette ou métonymie de la bibliothèque souterraine » où le silence attendu est enfin accessible. Dans cet ouvrage aussi noir que lumineux, la gravure devient une narration sans anecdote. Le graveur propose des mutations et des alignements aussi rectilignes que souples dans la spatialisation rythmique qu’il a toujours su inventer.
L’artiste et éditeur sait que le pouvoir du rythme est le fondement de tous les arts. La ligne, l’épure deviennent les éléments fondamentaux de son œuvre. Elles déterminent des séquences poétiques afin de porter le texte de Péju et le lieu « lithographique » à un niveau supérieur de plénitude. Le texte et la ligne incisée entrent en incidence interne de charges réciproques. La gravure devient l’émergence de la hantise du lieu et refonde l’imaginaire, non seulement de Péju, mais des arts et de la littérature dans un avènement premier où la cathédrale de roches accorde une nouvelle dimension au sacré.
En un tel lieu reculé et rupestres une vie de l’esprit demeure en gestation par l’« écriture » visuelle. Elle jouxte à la fois le vide (de la caverne) et le plein (de la bibliothèque) de ses pointes, de ses flèches dont l’intensité accapare, déborde. Une vie de méditation émane de l’âge d’or qui anime toujours l’acte d’inciser ou de dessiner depuis l’origine de l’art . Le travail tout en autorité et délicatesse de Marc Pessin offre à l’image la puissance non de représentation mais de présentation. Il permet de comprendre comment les lignes volent mais en une précision extraordinaire dans leur ajustement et leur force physique. A ce titre la gravure reste l’inverse de la peinture : elle ne renvoie pas à une mystique évanescence mais un savoir et une emprise qui conjuguent l’intellect, l’émotion et le tellurique. La bibliothèque est arrachée au seul logos . Surgissent le vagissement , l’origine ultime de l’empreinte et son verbe autant prisonnier de la psyché humaine que du minéral. Tout l’enjeu de « la civilisation pessinoise » est là.
jean-paul gavard-perret
Marc Pessin & Pierre Péju, Le Bibliotaure, Editions Le Verbe et L’Empreinte, Saint Laurent du Pont, 2014.