Un engrenage fatal par auteur plus que talentueux !
En quelques romans, Michel Bussi s’est hissé au premier rang des écrivains, provoquant de longues files d’attente, pour une dédicace, dans tous les salons auxquels il participe. Ses intrigues raffinées et inhabituelles, ses personnages empathiques, d’une grande humanité, font merveille. Après les époustouflants Nymphéas noirs ou Un avion sans elle, ce nouveau livre ne déroge pas à la règle : un must !
Jamal est en congés, pour quelques jours, à Yport. Il s’entraîne, avec sa prothèse en carbone, sur les plus hautes falaises d’Europe. Il veut être le premier unijambiste à terminer l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, la course la plus difficile du monde. En arrivant sur la falaise, le matin tôt, il remarque une écharpe rouge accrochée à une clôture. C’est une Burberry, une pièce de luxe. Il l’emporte. Plus loin, une jeune femme, vêtue d’une robe en lambeaux, est debout au bord du vide. Sourde à ses arguments, elle arrache l’écharpe que Jamal lui avait lancée pour la ramener, et saute.
Descendu sur la plage, il trouve deux promeneurs. Quand il parle de suicide, il se rend compte qu’il est le seul à pouvoir défendre cette version. Les deux personnes n’ont vu que la chute. Aux gendarmes, il rate l’occasion d’expliquer ce qui s’est passé au sommet. Les enquêteurs découvrent que la morte à été violée, puis étranglée. Comment, pendant les quatre secondes de sa chute, a-t-elle pu enrouler l’écharpe autour du cou ? Jamal réalise que ce vêtement porte ses empreintes, son ADN. Il comprend qu’il est un suspect parfait. Si, pour les policiers le doute s’installe, pour lui, c’est la plongée dans une situation surréaliste. À son hôtel, il reçoit des lettres, des coupures de presse relatant des faits similaires, vieux de dix ans. Deux jeunes filles ont été violées et étranglées dans les mêmes conditions, sur les mêmes lieux. Sa rencontre avec une jeune chercheuse du CNRS peut-elle l’aider ? Comment combattre l’enchaînement implacable, casser la machination qui va le broyer, faire de lui le coupable idéal ?
Michel Bussi est un romancier généreux. Il ne ménage pas son imagination fertile pour élaborer et construire des intrigues subtiles, retorses, au mécanisme impitoyable. Il enchaîne, sans répit, rebondissements et retournements. Mais c’est un écrivain diabolique qui vous envoûte par le charme de son récit, qui vous captive par la richesse de ses personnages. Il vous entraîne dans un festival de péripéties, un feu d’artifice de coups de théâtre. Avec lui, c’est constamment le bouquet final. Cela fuse, apparaît, s’imbrique pour une histoire dense, compacte, un récit mené avec un art peu commun de conteur.
Au terme d’un livre de cinq cents pages, sans longueurs, sans digressions insipides, il s’offre le luxe de conclusions à tiroirs, de fausses chutes tout en explicitant, avec limpidité, et naturel, tous les ressorts de son intrigue.
Michel Bussi est un prestidigitateur littéraire donnant à voir, mais mystifiant son lecteur. En effet, il mène, avec une logique implacable, une succession d’actions où, petit à petit, il introduit d’infimes distorsions, où, avec un art consommé du récit, il livre des éléments troublants amenant à douter du récit du héros. Avec Jamal, il imagine un formidable protagoniste, jouant de multiples facettes, lui donnant un rôle de Fregoli, passionnant. Il raconte aussi comment des non-dits peuvent enclencher des situations fâcheuses confrontés au fonctionnement de structures telles que police, gendarmerie et justice. Il retrouve, et le lecteur avec lui, son décor de prédilection, à savoir la Normandie et donne, à cette occasion, nombre d’informations géographiques, économiques et sociales sur cette région.
N’oublier jamais, ce titre interrogateur ouvre sur un trésor littéraire, sur un roman à ne pas rater.
serge perraud
Michel Bussi, N’oublier jamais, Les Presses de la Cité, mai 2014, 504 p. – 21,90 €.