Les segmentations d’Alechinsky ne sont pas pour rien dans la magie du texte de Stétié. Fidèles à la définition du nom-titre, elles le dressent comme un cobra. Par une enluminure minimaliste occidentale, ici comme pour son intervention dans Un amour de Swann (Gallimard 2013), l’artiste « découpe » et érige le texte pour qu’il ressemble aux notations d’un chant grégorien où deux « voix » se font écho. Le monologue de Stétié trouve là une tonalité qui dépasse le goût d’abîme même s’il pointe parfois son nez lorsque l’auteur écrit : « Buvant aux deux seins du néant fornicateur / Qui n’a de crépuscule qu’au lointain horizon / Voilé de sable noir / Et qui n’a de matière diamantée que le Rien ».
En surgit une espérance. Le côté mobile et flexible et la dynamique de l’approche presque pulsionnelle d’Alechinsky tirent des traits bleus sur l’échec toujours possible. L’artiste fait de son geste non seulement une trace et un soulignement mais aussi une coupure et un approfondissement. Il accentue la méditation comme s’il flairait par avance les traces des mots que l’auteur avait sur le bout de la plume sans qu’il puisse encore les nommer exactement.
Dessiner devient un processus de mémorisation, d’investigation et la traduction visuelle du langage. Par rapport aux mots, l’image reste sous-jacente, préconsciente. Elle est un vocabulaire sans significations pré-codées. Elle permet par son statut d’ouvrir le langage de Stétié et ses fragments de rêves même s’ils paraissent parfois somnambuliques et cafardeux. Le dessin permet donc de mettre en marche un inachèvement : au lecteur de les finir.
jean-paul gavard-perret
Salah Stétié & Pierre Alechinsky, L’ Uræus, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2014, 32 p. –12,00 € .