Thierry Beinstingel, Paysage et portrait en pied-de-poule

Vies plom­bées… fer­mées, muettes, sans joie ni peine, images d’une rura­lité en route vers sa disparition

Sa vie, il la passe sur son trac­teur Fiat bleu dans le silence oppres­sant des pay­sages vides, et quand il en des­cend c’est pour aller au tro­quet du vil­lage, ou, le soir, pour ren­trer à la ferme située un peu à l’écart des mai­sons, à part ça rien. Si, par­fois le dimanche il se change. Il enfile sa seule veste, une veste hors d’âge, ava­chie, en tissu à motif pied-de-poule, et il va faire un tour au bal sur la place en face du monu­ment aux morts.

Lui, on ne saura pas son nom, c’est un ouvrier agri­cole, pas marié et peu doué pour les ren­contres, qui vit encore avec sa vieille mère noire en tablier. Ils sont sur leur lan­cée d’existences immo­biles tra­cées d’avance, d’où sen­ti­ments et émo­tions semblent exclus. Un soir, un évé­ne­ment : au retour du fils, la mère est morte. Evé­ne­ment vite épongé, le temps d’avaler sa peine et de déglu­tir la sur­prise. Aspé­rité vite remise à sa place par le train­train rituel qui pré­side aux enter­re­ments. Rien ne chan­gera pour lui. Une fata­lité grise, neutre, conti­nuera à peser sur sa vie dans cette cam­pagne au ciel plombé. Vies plom­bées aussi, fer­mées, muettes, sans joie ni peine, images d’une rura­lité en route vers sa disparition.

Dans un inven­taire très ténu, l’auteur s’acharne en des­crip­tions à la minu­tie obses­sion­nelle, comme une volonté de mise au pre­mier plan du tableau de toutes ces infimes choses relé­guées d’habitude en toile de fond. Les choses, les gens, éga­li­sa­tion des deux, au même niveau de miné­ra­li­sa­tion, en natures mortes docu­men­taires accro­chées au vide. Car c’est le vide qui règne en maître dans ce roman-musée, apha­sie du grand vide qui résonne par­fois jusqu’à faire cra­quer les os de la boîte crâ­nienne. Beins­tin­gel est aussi l’auteur de récits, Cen­tral et Com­po­sants (men­tion du Prix Wepler 2002).

colette d’orgeval

   
 

Thierry Beins­tin­gel, Pay­sage et por­trait en pied-de-poule, Fayard, 182 p. 15 €.

 
     
 

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>