Vies plombées… fermées, muettes, sans joie ni peine, images d’une ruralité en route vers sa disparition
Sa vie, il la passe sur son tracteur Fiat bleu dans le silence oppressant des paysages vides, et quand il en descend c’est pour aller au troquet du village, ou, le soir, pour rentrer à la ferme située un peu à l’écart des maisons, à part ça rien. Si, parfois le dimanche il se change. Il enfile sa seule veste, une veste hors d’âge, avachie, en tissu à motif pied-de-poule, et il va faire un tour au bal sur la place en face du monument aux morts.
Lui, on ne saura pas son nom, c’est un ouvrier agricole, pas marié et peu doué pour les rencontres, qui vit encore avec sa vieille mère noire en tablier. Ils sont sur leur lancée d’existences immobiles tracées d’avance, d’où sentiments et émotions semblent exclus. Un soir, un événement : au retour du fils, la mère est morte. Evénement vite épongé, le temps d’avaler sa peine et de déglutir la surprise. Aspérité vite remise à sa place par le traintrain rituel qui préside aux enterrements. Rien ne changera pour lui. Une fatalité grise, neutre, continuera à peser sur sa vie dans cette campagne au ciel plombé. Vies plombées aussi, fermées, muettes, sans joie ni peine, images d’une ruralité en route vers sa disparition.
Dans un inventaire très ténu, l’auteur s’acharne en descriptions à la minutie obsessionnelle, comme une volonté de mise au premier plan du tableau de toutes ces infimes choses reléguées d’habitude en toile de fond. Les choses, les gens, égalisation des deux, au même niveau de minéralisation, en natures mortes documentaires accrochées au vide. Car c’est le vide qui règne en maître dans ce roman-musée, aphasie du grand vide qui résonne parfois jusqu’à faire craquer les os de la boîte crânienne. Beinstingel est aussi l’auteur de récits, Central et Composants (mention du Prix Wepler 2002).
colette d’orgeval
Thierry Beinstingel, Paysage et portrait en pied-de-poule, Fayard, 182 p. 15 €. |
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