Maître des mots, Michel Host (ancien Prix Goncourt) sait quitter les mers de sable où l’imaginaire ne serpente plus. Il garde un grand souffle orphique de scribe ensorcelé dans les champs de fouille du monde pour célébrer le réel afin que ce dernier ne se dissolve pas dans l’apparence qu’il se donne et que beaucoup de prétendus créateurs ne font que dupliquer. L’auteur cherche l’éveil jusque dans le grandiose des plaines de Flandre comme dans le dénuement des déserts. Ses livres sont assez profonds pour contenir l’ombre et la lumière des spiritualités comme des amours. Les deux font de lui l’élytre brûlé de délectables cyanures et des feux de joie.
Chaque matin, se remettant à écrire, ses textes sont des aurores qui inventent des couleurs et recréent des présences. Parfois, des illusions tombent en flocons comme une neige qui rôde autour de la mort obscure. Mais l’auteur préfèrera à la chouette annonciatrice des fins la salamandre à l’encre phosphorescente. Elle macule ses doigts mais tel le vagabond de la « Ruée vers l’or » Host répond à la tendre indifférence du monde par ses enfantements de phalènes dans des coulées de haut fourneau. Et si les jours passent de plus en plus vite, l’auteur fait de ses textes des armes noires pour en arrêter ou au moins retenir le flux. Host refuse le cœur gorgé de nostalgie qui ne peut que croire recoudre les ailes brisées de l’enfance. Il n’aime pas que les tocsins résonnent dans le ventre. Ses livres exultent, soufflent sur l’oreille de ses chats. Il tient à savourer la liqueur du présent où tout reste pour lui source d’éveil : chacun de ses livres le prouve.
Lire notre critique de Les jardins d’Atalante
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La faim, la mienne, celle aussi de mes chats, qui ne se laisse pas ignorer. La curiosité pour les livres que je n’ai pas lus, la colère, le désir d’écrire.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai perdu tout souvenir de mes rêves d’enfant. Si j’en ai fait, ils se sont évanouis.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé à ces carrières successives : fabricant et commerçant de mobilier rustique et ancien, étudiant à HEC, médecin (beaucoup de malades ignorent la chance qui aura été la leur de ne pas avoir bénéficié de mes soins), artiste peintre (le nombre des croûtes en aura été diminué), vagabond au Mexique… Ma famille renonça elle aussi à soutenir ces glorieuses tentatives.
D’où venez-vous ?
De la terre de Flandre, du monde du travail manuel et obstiné, de l’âme chrétienne de ce pays. De la toute petite bourgeoisie issue de la paysannerie, où l’on n’avait guère le génie du maniement de l’argent.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’obstination, la ténacité, la résistance à toute forme de pression ou d’oppression. Le goût de vivre, le plaisir de faire quelque chose (des prétentieux disent créer !), une aversion instinctive pour les mille formes de la bêtise. Avec cela, les pieds plantés dans la terre et la tête jetée dans le ciel où chantaient il y a peu encore les alouettes par milliers.
Qu’avez-vous dû “plaquer” pour votre travail ?
La Sorbonne, le Structuralisme : l’autopsie de mes poètes préférés ne m’a jamais permis de combler mes ignorances à leur sujet, elle me les a masquées le plus souvent, et j’ai toujours vu l’opération elle-même comme répugnante. Après des études secondaires satisfaisantes, je me suis donc instruit et auto-instruit en littérature par la lecture des oeuvres avant tout, ensuite par la lecture de quelques vrais critiques.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Question bien elliptique… Il m’arrive (mais pas tous les jours) de siroter un whisky tout en ne venant pas à bout d’une grille de mots croisés concoctée par un esprit pervers.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes ?
Je n’en sais rien. Poète à certaines heures, c’est-à-dire réceptif, capable d’écrire, et bien moins ou pas du tout à d’autres heures. Je suis branché sur courant poétique alternatif. Mon allure poétique générale se veut plutôt discrète. Je récuse les engagements tonitruants : l’engagement en poésie suffit à dire mon refus de ce monde pornographique.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
L’image de la parfaite beauté que m’offrit ma première institutrice, Mademoiselle Bertin, à qui je porte une infinie reconnaissance — brune élégante aux yeux verts des chats et de la mer -. Elle déposa dans mes mains d’enfant l’inépuisable richesse de la vie pour ma vie tout entière.
Et votre première lecture ?
Trois lectures me sont restées inoubliables qui, en somme, n’en font qu’une : deux volumes illustrés décrivant par le menu les épisodes glorieux des armes françaises durant la guerre de 1870, les Fables de Jean de La Fontaine dans un album illustré perdu mais si beau qu’il me hante encore aujourd’hui ; et, de Jules Verne, les 20.000 lieues sous les mers.
Comment pourriez-vous définir votre propre envol sur ce que vous nommez « l’élan de l’inconnaissable ” ? : Je me serais donc proposé de « prendre mon élan vers l’inconnaissable… » ?
Ce doit être vrai. Il faut prendre cela au pied de la lettre, dans la dimension plate de notre vie terrestre : je cours vers ce que j’ignore encore, je suis malheureux de savoir que je ne saurai pas tout… L’envol et le vol restent donc au ras du sol. Sans renier les spiritualités personnelles, l’autre Inconnaissable, celui qui touche à la métaphysique, au divin supposé, à l’illumination mystique, m’est totalement étranger. Il rend trop creux, trop rhétorique, bavard et dangereux le discours des prêtres de toutes les religions pour que je puisse seulement l’entendre sans avoir le vertige ou le mal de mer.
Quelles musiques écoutez-vous ?
A peu près toutes, de partout, de tous les temps. Une prédilection pour Delalande, Rameau, la musique de cour du XVIIe siècle, Mozart, Bach (dont Cioran a dit ce qu’il fallait en dire), Debussy, Ravel, Stravinsky, Chostakovitch…, le flamenco des années 30 et 40, la voix de Maria Callas. Je hais les musiques saisies dans une rythmique fascisante parce qu’abrutissante.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Un peu plus qu’un seul : les poètes de la Pléiade, tout Rimbaud, tout Rabelais, tout Montaigne. Y ajouter Gilgamešch et l’Odyssée.
Quel film vous fait pleurer ?
Enfant, j’ai pleuré de rire devant le Charlot de “La ruée vers l’or”. Je ne pleure plus que de chagrin devant les navets dont on veut nourrir aujourd’hui le public de la planète.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois la cinquième ou sixième métamorphose d’un visage que l’on ne connaît et reconnaît que parce qu’au matin, ne serait-ce que pour le raser, le rendre acceptable à autrui, on est contraint de le regarder au miroir. Pour un nouveau visage, je compte une nouvelle vie. Ce serait mentir d’affirmer qu’à chaque arrêt devant le miroir je vois un inconnu, mais parfois, le bonhomme qui se profile là, sous mes yeux, me semble avoir un air bizarre, des intentions malsaines, indéchiffrables, inquiétantes… Quant à la personnalité morale, elle s’efforce de faire bonne figure, de se dire qu’elle ne mettra pas à profit la journée qui vient pour se déshonorer.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À ma mère. Jamais eu le courage de lui dire mes quatre vérités sur elle.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Paris.
Quels sont les écrivains et artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Aristophane, Arthur Rimbaud, Robert Desnos, Jules Renard, Alexandre Vialatte, L.-F. Céline, Antoine Blondin, E. M. Cioran. Van Gogh, Modigliani, Camille Claudel, Germaine Richier, Danièle Blanchelande.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Très ennuyeuse question. Il va être temps pour mes proches et mes amis de songer à m’offrir soit une urne funéraire, dont le prix est modique, soit un cercueil de chêne, plus onéreux. Né sous le signe de la Balance, je suis incapable de choisir.
Que défendez-vous ?
L’orthographe, la syntaxe, la prononciation de la langue.
La bête, l’enfant, la vieille personne que l’on maltraite.
L’effort parfois difficile vers l’intelligence contre le veule glissement dans la bêtise.
Je défends que l’on maltraite et tue qui que ce soit.
Je défends que l’on hurle avec les loups et cogne avec le plus fort.
Je défends que l’on mente et que l’on soit animé par la cupidité.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Mon avis est que Lacan, que je n’ai pas connu personnellement, était un humoriste d’une cynique noirceur, ou un pingre fieffé ignorant de l’Amour, et que nul ne trouvait plaisir à ses cadeaux insubstantiels.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Je la renverse volontiers : « La réponse est non mais votre question ne manquait pas d’intérêt. »
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Mourir vous pose-t-il une difficulté ? Réponse en prime : « Je verrai le moment venu. »
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 8 mai 2014.