Rares sont les livres qui procurent un tel plaisir à la fois poétique et enfantin. C’est un ravissement pour l’esprit et pour l’œil. Ce petit chef-d’œuvre est en effet autant un « poème » hors de ses gonds qu’un livre d’images. Demarcq s’y amuse mais va bien au-delà et laisse derrière lui la trop simple et franche rigolade. Certes, difficile de ne pas voir en Tonton un fils de Tintin mais aussi des printemps où les Marguerites « durassent ». Le poète lui rive le clou (au sujet de sa « mother) et le biclou. Il prend ce dernier pour aller à Hué et à dia. La mousson ne peut l’arrêter. Entre flaque et ciel, des bonzes psalmodient sous la saucée des klaxons et des canards. Tonton poursuit sa route populeuse parmi 5 millions de véhicules divers dont des myriades de pétrolettes mais aussi des Mercedes et des Hyundai. Il doit parfois serrer les fesses - “bras et jambes cadenassés ” puis s’arrêter le temps de boire un thé et un café et d’avaler de lourdes nouilles.
Le road-movie avance entre les bras du Mékong tel un mec quelconque à qui une jeunette Viêt-Cong fait en signe victorieux le « V comme Vietnam ». Il rappelle de sinistres mémoires que la minette n’a pas connues. Elle, comme les pétrolettes, fonctionne désormais à une autre huile de ricains plus ou moins « chinée ». Chacun « joue des coudes du code avec calme dans la cohue » et c’est un vrai plaisir que de déambuler avec Tonton dans l’excitation d’un melting-pot temporel où les cygnes qui font signes ont désormais perdu leur plumes : ils sont transformés en pédalos — sorte de radeaux qui médusent — sur le grand lac Thuy Kuée. Sur ses rives, le napalm n’a pu éliminer les nappes de verdure tandis qu’en ville, même sous les forêts des tropiques, surgissent ce qui est le parfait opposé d’un tel livre : des chromos kitsch pour attirer des touristes.
Rien de plus coruscant donc qu’un tel album à l’apparent vernis sage mais aux courses des miracles et sornettes d’alarme. Tintin n’est plus ici (du moins en partie) mais restent les zèles du désir, des zestes déplacés, un Goncourt de cire constante (avec la bonne Marguerite), des boîtes à clans, des folies bergères sauce piquante. Le tout à l’avenant : au bar d’une maison glose ou d’un Ritz amer ou sur des tombes à retardement. Les cars grouillent de gens sur leurs gradins zoologiques où se propagent parfois le cri de bis cornus émis par des pseudo-punks en apnée juvénile qui boivent des sodas inconnus (au goût roux). Joue contre jour, l’aventure suit son cours.
En avant doute. C’est un pur délice.
jean-paul gavard-perret
Jacques Demarq, Tonton au pays des Viets, Passages d’encres / Traces, Moulin de Quilo, Guern, 2014, 24 p. — 15,00 €.