Jacques Demarq, Tonton au pays des Viets

Dans la fusion du monde

Rares sont les livres qui pro­curent un tel plai­sir à la fois poé­tique et enfan­tin. C’est un ravis­se­ment pour l’esprit et pour l’œil. Ce petit chef-d’œuvre est en effet autant un « poème » hors de ses gonds qu’un livre d’images. Demarcq s’y amuse mais va bien au-delà et laisse der­rière lui la trop simple et franche rigo­lade. Certes, dif­fi­cile de ne pas voir en Ton­ton un fils de Tin­tin mais aussi des prin­temps où les Mar­gue­rites « durassent ». Le poète lui rive le clou (au sujet de sa « mother) et le biclou. Il prend ce der­nier pour aller à Hué et à dia. La mous­son ne peut l’arrêter. Entre flaque et ciel, des bonzes psal­mo­dient sous la sau­cée des klaxons et des canards. Ton­ton pour­suit sa route popu­leuse parmi 5 mil­lions de véhi­cules divers dont des myriades de pétro­lettes mais aussi des Mer­cedes et des Hyun­dai. Il doit par­fois ser­rer les fesses - “bras et jambes cade­nas­sés ” puis s’arrêter le temps de boire un thé et un café et d’avaler de lourdes nouilles.

Le road-movie avance entre les bras du Mékong tel un mec quel­conque à qui une jeu­nette Viêt-Cong fait en signe vic­to­rieux le « V comme Viet­nam ». Il rap­pelle de sinistres mémoires que la minette n’a pas connues. Elle, comme les pétro­lettes, fonc­tionne désor­mais à une autre huile de ricains plus ou moins « chi­née ». Cha­cun « joue des coudes du code avec calme dans la cohue » et c’est un vrai plai­sir que de déam­bu­ler avec Ton­ton dans l’excitation d’un melting-pot tem­po­rel où les cygnes qui font signes ont désor­mais perdu leur plumes : ils sont trans­for­més en péda­los — sorte de radeaux qui médusent — sur le grand lac Thuy Kuée. Sur ses rives, le napalm n’a pu éli­mi­ner les nappes de ver­dure tan­dis qu’en ville, même sous les forêts des tro­piques, sur­gissent ce qui est le par­fait opposé d’un tel livre : des chro­mos kitsch pour atti­rer des touristes.

Rien de plus corus­cant donc qu’un tel album à l’apparent ver­nis sage mais aux courses des miracles et sor­nettes d’alarme. Tin­tin n’est plus ici (du moins en par­tie) mais res­tent les zèles du désir, des zestes dépla­cés, un Gon­court de cire constante (avec la bonne Mar­gue­rite), des boîtes à clans, des folies ber­gères sauce piquante. Le tout à l’avenant : au bar d’une mai­son glose ou d’un Ritz amer ou sur des tombes à retar­de­ment. Les cars grouillent de gens sur leurs gra­dins zoo­lo­giques où se pro­pagent par­fois le cri de bis cor­nus émis par des pseudo-punks en apnée juvé­nile qui boivent des sodas incon­nus (au goût roux). Joue contre jour, l’aventure suit son cours.
En avant doute. C’est un pur délice.

jean-paul gavard-perret

Jacques Demarq,  Ton­ton au pays des Viets, Pas­sages d’encres / Traces, Mou­lin de Quilo, Guern, 2014, 24 p. — 15,00 €.

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