Louis-Michel de Vaulchier, Lecture sur le pas

Louis-Michel de Vaul­chier jusqu’au pas du pas du poème

Louis-Michel de Vaul­chier pré­cise avant-même la page de garde le pro­pos de son texte : « Rien ici sur ce qui fait d’un texte un poème. Mais : les effets phy­siques et men­taux que pro­duit sa lec­ture ». L’auteur pro­pose donc une théo­rie ana­ly­tique intem­pes­tive en par­tant de cinq vers d’un poème aveugle « sans titre, sans his­toire, sans direc­tion ». Dès lors et comme aurait pu dire Mal­larmé, rien n’aura lieu que son lieu, rien que ce lan­gage et pour le lec­teur « s’y trou­ver planté, étonné, fixé » afin que de nou­velles pers­pec­tives débordent.
A l’inverse (ou en com­plé­ment) d’un Ber­nard Noël pour qui « Toute chose men­tale a son arrière-pays qui se perd dans les ténèbres », de Vaul­chier dia­logue non avec la sup­po­sée pré­sence qui se tient là-bas, dans le noir, mais dans le blanc “impec­ca­ble­ment balayé par un dépôt de mots”. Si bien qu’en un pre­mier temps « le papier est un drap sur lequel la lec­ture appuie ». Le temps va pou­voir rico­cher par la lec­ture. Elle fait que le poète bouge, rebon­dis­sant sur les ins­tants et venant cas­ser le silence contrai­re­ment au dire de l’amour qui est d’entrer dans le silence.

Parlé (à voix basse ou haute), le poème est fait d’organes. Il est donc là com­pa­rable à l’amour : « la langue y cir­cule par à coups et pour­tant rien d’autre qu’elle pour faire remuer le tout ». Venant du plus pro­fond des âges et plus vieux que le texte lui-même, la voix fait ce que les mots ne font pas. Par­ler le poème, c’est en par­tie en deve­nir l’auteur et répondre à la ques­tion : « Et vous, vous savez ce qu’il en est de ce poème ? ».
Contre sa seule vérité silen­cieuse, de Vaul­chier décrit divers temps et modes de sai­sies de l’écriture afin d’illustrer à sa façon la for­mule attri­buée à Simo­nide selon laquelle « la poé­sie est une pein­ture par­lante ». Toute lec­ture devient un immense cube d’air frais où se déclenche la rage comme le plai­sir si bien qu’à la place de feuillets res­treints l’espace devient immense. Le blanc posé entre deux mots peut deve­nir incom­men­su­rable et à la stu­pé­fac­tion du poète lui-même. Le lec­teur affirme donc un écart. Son expé­rience peut prendre l’aspect d’une len­teur incrus­tante ou à l’inverse la vora­cité d’un voyage accé­léré ou encore d’une errance ou d’un balbutiement.

S’empa­rant après un pre­mier cas d’autres exemples, de Vaul­chier prouve que tout poème, et quel qu’en soit le genre, dans son frois­se­ment comme de sa syn­cope, pro­voque par sa lec­ture un tatouage vocal. Il fait de chaque lec­ture une tra­ver­sée d’un mas­sif com­pact sou­dain ajouré dans sa plé­ni­tude. Les débords silen­cieux de sa propre maté­ria­lité indiquent les bri­sures vocales de balises « maté­rio­lo­giques » et plas­tiques (que l’auteur illustre de pho­tos concep­tuelles).
Sur­git l’épreuve du rendu ver­bal de la matière poé­tique jusqu’à son épreuve ter­mi­nale : le temps de rési­lience ou dit l’auteur de « Pro­vi­soire déli­vrance ». Et de pré­ci­ser qu’en cette sus­pen­sion se fait entendre « le poème qu’il est pos­sible de ne pas lire, le poème qu’il est pos­sible de ne pas écrire ». L’auteur offre donc cette expé­rience rare d’une mise en abyme de la tra­ver­sée de la voix dans l’altérité du lan­gage poé­tique. Chaque lec­ture — deve­nant la matrice presque inva­gi­née de l’acte d’écriture — est comme éja­cu­lée dans l’ouvert. D’où ce moment magique quand le silence se fait : il n’est plus absence mais plénitude.

jean-paul gavard-perret

Louis-Michel de Vaul­chier, Lec­ture sur le pas, coll. Trait court, Pas­sage d’encres, Mou­lin de Quilo, Guern, 2014 — 5,00 €.

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