Grâce aux photographies de Stéphanie Mackenzie quelque chose craque même dans le songe. Par le réseau du mystère de l’incarnation féminine — créé en divers types d’échanges et d’hybridations dont le collage et la citation -, imaginer n’est jamais restreindre mais développer un regard qui rentre dans le corps sans mais sans outrance. L’image devient le moyen de « dédeleurrer » les leurres par des dédoublements avec humour et feintes d’exhibitions des fétiches.
L’artiste suscite de perpétuels passages et une expérience de l’altérité même si parfois se trouve une simple vapeur à l’endroit où le corps apparaît. Stephanie Mackenzie détourne l’appétit de l’éphémère. Eros n’est plus le dieu du sexe mais de ses ombres comme de son énergie. Sortant de sa chrysalide, la femme devient l’efflorescence, l’éclat d’une magie et d’une inquiétude aux fascinants miroirs. Ailes du désir et de libellules. Avoine blonde, brune lavande. Sylphide.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Ma passion pour l’art est ce qui me donne envie de sortir de mon lit depuis l’âge de 5 ans.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je suis en train de vivre mes rêves. Mon rêve d’enfant était de marcher dans les pas de mon arrière grand-père et de faire carrière dans la ville la plus propice à mon épanouissement artistique : Paris.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai abandonné ma famille et mes amis au Canada pour être en mesure de développer mes talents artistiques la ou ils seront les mieux appréciés du grand public.
D’où venez-vous ?
J’ai grandi à Toronto (Canada) et j’y ai passé les 15 premières années de ma vie.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Mon grand-père, Branco Stojanovich, est ma principale source d’inspiration, de motivation et mon héritage artistique. Il s’est rendu en France pour étudier le design de mode pendant les années 1920 et a créé son propre style avant de retourner vivre à Belgrade où il a révolutionné la conception de sacs à main de couture ; le conflit yougoslave a détruit l’entreprise familiale.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Mon travail a nécessité de nombreux sacrifices familiaux et affectifs, a créé à plusieurs reprises des incompréhensions. Mon art est une partie de moi, et je me dois de garder mon intégrité.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Depuis mon arrivée en France je me suis adaptée à la culture culinaire et autres habitudes alimentaires françaises ; certains cafés et restaurants traditionnels me font oublier la vie parfois stressante parisienne et sont une échappatoire formidable que les parisiens auraient peut être tendance à sous-estimer.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
La précision du canevas, le choix de la base et de la couleur sont des éléments naturels auxquels je contraste et mélange artificiellement des techniques permises par la technologie disponible sur ordinateur. Ma base de travail est primordiale, travaillée au crayon puis peinte, permet ensuite le travail de collage photo.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Je dois dire que c’était l’art de Roy Lichtenstein titré “OH, JEFF … I LOVE YOU TOO … “. Même si c’est une bande dessinée, je sentis ses sentiments par la façon dont il utilise ses lignes noires de la courbe forme féminine parfaite.
Et votre première lecture ?
Ma première lecture qui m’a conduit à poursuivre mon art était un livre sur Roy Lichtenstein. Il m’a inspiré pour jouer avec mes compétences artistiques et de lancer le projet de me retrouver comme artiste.
Comment pourriez-vous définir votre travail sur la représentation du corps féminin ?
La femme est une muse qui est à la fois une source d’inspiration dans la mesure où elle donne naissance à la création mais aussi une source d’interprétation pour un homme : la femme véhicule le message transmis et permet sa bonne réception sur une base subjective et individuelle.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Tous les types de musique sont susceptibles de provoquer des émotions différentes et de servir de sources d’inspiration ; j’utilise mon ressenti du moment pour stimuler la naissance de créations en phase avec la subjectivité de la musique. Mais si je devais en choisir un groupe ? Ça serait Enigma !!
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Mandela’s Way — Lessons on Life” by Richard Stengel. J’admire son leadership, les valeurs et la nature qui pardonne. Il a tenu sa parole, influencé beaucoup et s’est battu pour son peuple.
Quel film vous fait pleurer ?
« Coco Avant Chanel » me fait pleurer. Elle est une inspiration pour moi comme une figure de femme forte. Elle n’a jamais renoncé à ses rêves.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une artiste en transition, qui se remet en question jour après jour à la recherche d’une perfection artistique qui n’existe peut-être pas. Ma réponse à cette question restera sûrement la même dans les prochaines années dans la mesure où une artiste se doit d’évoluer avec son art.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
David Lachapelle. Je voudrais demander si je peux aller sur place avec lui au cours d’une séance photo. Je suis très intéressée par son processus de création de ses œuvres d’art.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Marrakech. J’aime me perdre dans le dédale de ruelles étroites de la médina, il me donne l’inspiration pour être entouré par l’architecture ancienne : belle couleur autour de moi et être embrassée par la chaleur des gens.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Je suis inspirée par la précision et l’élégance de Newton, l’imagination de Dali, l’utilisation de couleur par Warhol, le style de bande dessinée Lichtenstein et mon grand-père pour l’enseignement de la discipline nécessaire au travail plastique.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un ticket pour l’espace, pour observer la terre avec la tête encore plus dans la lune.
Que défendez-vous ?
Je travaille avec des organismes de bienfaisance tels que la Fondation Salama Shield qui soutiennent des solutions de santé aux problèmes de santé « critical ».
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Toute mon inspiration vient de sentiments, de ce que je vois, de l’environnement quotidien. Les mots sont trop limitatifs pour moi d’exprimer mes pensées, expériences et émotions.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Avec une œuvre d’art, sa première rencontre peut donner des sentiments différents de ceux qu’elle provoque plus tard. C’est une quête afin de connaître l’œuvre. Jour après jour, vous découvrez de nouvelles impressions.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, avril 2014.
Sur Stephanie Mackenzie : www.dekafoto.com. Paris, Londres, New-York.