Méchamment drôle et réellement triste
Larga. Son trolleybus, son pope, ses beuveries entre copains, son équipe de curling… sa terre infertile, ses cadavres dans le jardin, ses hommes désœuvrés et leurs rêves de prospérité. Enfin, leur rêve, celui que partagent tous les habitants de ce petit village moldave : l’Italie. Et pour atteindre cet Eldorado, chacun y va de sa combine – du tractoriste qui transforme son engin en avion, puis en sous-marin, à celui qui s’improvise capitaine de l’équipe de curling, en passant par tous ceux qui sont prêts à vendre jusqu’à ce qu’ils n’ont pas pour payer des passeurs escrocs qui les emmènent… à la sortie du village. Car si la vie à Larga n’est pas ce que l’on pourrait qualifier d’enthousiasmante, les Larganiens ne sont pas non plus ni tous aimables ni bien futés.
Ce sont leurs efforts tragi-comiques que raconte Vladimir Lorchenkov dans ce roman à la fois méchamment drôle et réellement triste. Derrière la farce, l’auteur, russophone mais moldave lui-même, aborde les sujets qui fâchent (l’actualité nous le rappelle tristement), notamment celui du déchirement entre deux cultures : la russe et l’européenne. Car vue du fin fond du pays le plus pauvre des républiques de l’ancien bloc de l’Est, l’Italie, elle-même parent pauvre de l’Europe occidentale, fait office de paradis. On s’y voit heureux et oisif, on y imagine l’argent facile, la vie douce, les fruits sucrés et les plaisirs opulents.
Peinture acerbe de la politique des véreux, des mesquineries du quotidien, de la méchanceté gratuite, de l’avidité et de la bêtise sans limites, ce roman fait rire, jaune souvent, mais il donne aussi à réfléchir : jusqu’où irait-on pour réaliser ses rêves ? Maniant habilement le grotesque et la satire, l’auteur nous offre ce que l’on devine être un portrait sans doute un peu moins caricatural qu’il n’y paraît de prime abord. La folie humaine ramenée à échelle individuelle, le poids de l’ancien régime encore omniprésent, le système D version burlesque, tout est présent dans ce livre. Lortchenkov revisite avec brio et humilité le mythe de Sisyphe, avec la conclusion que l’on devine.
agathe de lastyns
Vladimir Lortchenkov, Des Mille et une façons de quitter la Moldavie, traduit du russe par Raphaëlle Pache, Mirobole, coll. Horizons pourpres, avril 2014, 250 p – 20,00 €
Après l’avoir rencontré à la Librairie du Globe à Paris, reçu sa dédicace, la lecture de son livre me fait regretter de ne pas pouvoir en savoir plus de son oeuvre non traduite en français. En anglais ou allemand ? Mon russe reste très insuffisant, hélas, pour une langue de prédilection.
Je pense être de la même sensibilité. Un modèle et un idéal humain et littéraire. Prétentieux, certes, mais pour moi, un grand hommage. Et dire qu’il ressemble tant à l’acteur qui interprète le commissaire Montalbano des polars siciliens d’Andrea Camilleri, italiens tous deux. J’espère qu’il le sait ! Sinon, faites-lui signe s’il l’ignore.
Merci