La leçon d’esthétique ou le manuel de félicité
Marie-Laure Dagoit contre toute attente se fait parfois maîtresse de cérémonie afin d’apprendre aux esthéticiennes en herbe comment être des praticiennes au poil afin que les clientes, sitôt sorties, osent s’afficher nue aux yeux chantants de ceux dont elles espèrent le brame amoureux en leur forêt ratiboisée. Dès le début du livre, tout est raccord : « Vis-à-vis de la clientèle, l’esthéticienne doit être correcte, propre et digne. Correcte. Elle doit porter des vêtements entretenus, des chaussures nettes, du linge non douteux. ». Adepte des désordres amoureux mais tout autant de l’ordre et du soin, l’auteure enseigne l’art de rendre bien impeccable la peau. Sans miséricorde superflue envers ses apprenties, elle les pousse habilement à éradiquer ce qui traîne entre les jambes afin de donner au pubis son velours. Il transforme dès lors les clientes en idoles et odalisques pour que l’ours hiberne et le messie hennisse en titubant de désir.
Pour cela, pas question d’aborder la cliente « mollement et sans empressement, le rouge à lèvres coulé ». Tabac, spiritueux, aliments « trop assaisonnés qui rendent l’haleine fétide » sont aussi à prohiber à qui se mêle de mettre à mal le chasse-amour des pilosités superflues — l’objectif restant de rendre le pubis aussi imberbe qu’un œuf dur. Le tout si possible dans le silence, même si une revêche se révèle fort mal éduquée. En sa sagesse primesautière, Marie-Laure Dagoit rappelle combien il est plus judicieux — plutôt que demeurer triste et sans métier — de se préoccuper d’une petite félinité afin qu’elle retrouve un sourire plus lumineux que celui du chat de Cheshire chère à Alice chez Lewis Carroll. Dans l’effet miroir, le pays des merveilles triomphera de ses feux. Que soit donc remerciée la conseillère. Soudain l’endroit bossu où passe le scandale redevient un rivage soyeux et impeccable où tout est permis. Il s’offrira et s’ouvrira lisse et déplumé dans des draps de satin à ceux qui viendront — même habillés de deuil, parfois cramoisis de la honte bouillante de leurs péchés mais toujours otages de leur plaisir — ensevelir leur poisson cracheur d’âme sous leur ventre bombé.
jean-paul gavard-perret
Marie-Laure Dagoit, Le pubis rasé et frais, Editions Derrière la salle de bains, Rouen, 2014, 10,00 €.