Michel Bussi, Les Assassins de l’aube

Loin de l’image touristique

Le choix de la Gua­de­loupe pour cadre de ce nou­veau roman est judi­cieux car, outre le coté para­di­siaque de l’île, celle-ci pos­sède une his­toire ancienne fort riche et dra­ma­tique qui offre moult pos­si­bi­li­tés d’intrigue.

Ce dimanche 7 avril 2024, Jacob San­ta­ma­ria regarde le Grand Cul-de-sac marin, sorte de lagon. C’est un béton­neur qui a sac­cagé d’innombrables pay­sages. Depuis son yacht, il se met à l’eau et nage. Il est rejoint par un pêcheur et com­prend vite qu’il tient le rôle du… mérou.
Le com­man­dant Valé­ric Kan­cel, est revenu, il y a peu, en Gua­de­loupe pour sa vieille mère. Il a inté­gré la DZPJ — Direc­tion Zonale de la Police Judi­ciaire. Il se retrouve en charge d’une enquête à haut risque que lui confie le sous-préfet. San­ta­ma­ria est une des grosses for­tunes des Antilles et retrou­ver son corps har­ponné sur les Marches des esclaves est mal­venu. Il rap­pelle ses adjoints, les capi­taines Jolène Dos San­tos et Amiel Ouas­sou en congés.

Sur le mémo­rial, le cadavre porte un petit car­ton ensan­glanté coincé dans le cale­çon de bain : “Ana­tole Cegne­vane. Né en 1625 à Tivaouane au Séné­gal, mort en 1663, pri­son de Petit-Canal, Gua­de­loupe” C’est Éva­riste Pigeon, un vieil alcoo­lique, qui entre­tient une répu­ta­tion de quim­boi­seur pour entour­lou­per les Créoles cré­dules, qui a “vu” le corps. Or, son témoi­gnage n’apporte rien. Les poli­ciers se perdent en conjec­tures.
Mais une nou­velle vic­time, tuée dans des condi­tions simi­laires, est retrou­vée sur un lieu emblé­ma­tique. C’est une jeune femme qui ran­don­nait avec son ami. Comme pré­cé­dem­ment, un car­ton donne des indi­ca­tions sur un indi­vidu décédé depuis des décen­nies. Les poli­ciers sont sou­mis à la forte pres­sion de la Pré­fec­ture et des poli­tiques. Pas de liens entre ces deux per­sonnes. Mais le trio d’enquêteurs n’est pas au bout de ses sur­prises quand…

Michel Bussi com­pose un trio de poli­ciers dont il détaille les recherches de témoi­gnages, d’indices. Mais il s’attache éga­le­ment à décrire leur vie pri­vée, une vie assez dif­fi­cile. Si l’auteur s’étend sur l’existence que le com­man­dant a menée pen­dant de très nom­breuses années en Métro­pole, les rai­sons de son départ de l’île res­tent floues. Amiel est un grand poli­cier noir qui s’est enti­ché de Raphaël. Mais la famille de l’objet de son amour refuse cette situa­tion. Jolène par­tage des ori­gines entre Bre­tonne et Por­tu­gaise, pos­sède un phy­sique assez ingrat qui jus­ti­fie ses dragues sans lendemains.

Si le roman­cier est un géo­graphe reconnu, il se fait éga­le­ment his­to­rien, par­ti­cu­liè­re­ment dans ce roman. Il expose le passé de cette île où l’esclavage a été très répandu, son évo­lu­tion jusqu’en 1848, date qui a vu son abo­li­tion. Il raconte les dif­fé­rents pro­blèmes sou­le­vés à cette époque car les esclaves n’avaient pas d’identité. Ceux-ci ne pos­sé­daient qu’un numéro matri­cule, au mieux, un pré­nom. Il a fallu, aux employés de l’état-civil, en quelques mois don­ner des patro­nymes à cette popu­la­tion esti­mée à 90 000 femmes et hommes.
Il livre nombre d’anecdotes sur les sites, sur les cou­tumes, légendes, comme celle du figuier. Il pré­sente L’espace des recherches généa­lo­giques qui recense le maxi­mum d’identités. Une carte de l’île per­met de situer les dif­fé­rents lieux où se déroule l’intrigue.

Avec son art éton­nant du récit, l’auteur sait poser un regard per­ti­nent et, appro­fondi, sur la société. Il offre, ainsi, dans ses romans, une immer­sion rare dans des pay­sages et contextes sociaux avec, tou­jours, une réflexion gran­de­ment humaniste.

serge per­raud

Michel Bussi, Les Assas­sins de l’aube, Les Presses de la Cité, octobre 2024, 408 p. — 22,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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