Les dissolutions de continuité de Mathias Lair : entretien avec le poète et l’écrivain

Dans L’Innommable, le héros de Beckett dit : “Je cherche ma mère, pour la tuer”. Mais Mathias Lair n’a pas eu à se don­ner cette peine puisque d’une cer­taine façon  il n’est jamais né — sinon pour sup­por­ter la dou­leur que les affres mater­nelles firent endu­rer à la géni­trice comme à son rejet-on. Livré à l’errance, à la pros­tra­tion pre­mière et à un che­min du cal­vaire, le poète est par­venu à une frac­ture dont Inzeste (2010, Gros Texte éd.) est plus que la méta­phore agis­sante. Par­tagé sur toute la lon­gueur, le texte accouche de la bête.  La Chambre morte (2014, Lans­kine éd. ) l’achève. Preuve que la des­ti­née de l’auteur ne s’inscrit pas seule­ment sous la loi de celle qui tuait la voix de son enfant, tant qu’entre affec­tion et infec­tion il y a par­fois bien peu. Mais s’il arrive que les cris de la Jocaste résonnent, leurs échos s’apaisent peu à peu pour que – enfin — l’amour soit le bon.

Entre­tien

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
J’ai le sou­ve­nir de matins où je me réveille tôt, dans l’impatience voire la fébri­lité : j’ai un tra­vail en cours, j’ai hâte de voir ce qui « va sor­tir » de la nuit. Car j’ai besoin d’une conti­nuité avec la nuit pour écrire, alors je me sens dans un état d’« éveil » (si je puis me per­mettre cette allu­sion boud­dhique, alors que la reli­gion et moi…).
Sinon je ne me lève pas. Il y a le temps où je suis au lit, et le temps où je me trouve levé, en toute dis­so­lu­tion de conti­nuité. Je me lève comme je m’endors, dans l’incapacité de sai­sir le pas­sage d’un état à l’autre. Sans doute vit-on la même chose, si je puis dire, quand on meurt ? Aujourd’hui je suis levé parce que ça vit en moi, demain je serai cou­ché parce que ça mourra. Tout autre motif me paraît super­fi­ciel, ou seule­ment occasionnel.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant sont frap­pés d’amnésie, ce qui est le lot com­mun, me semble-t-il. Tant qu’on a le nez dans les seins de maman, on n’a guère besoin de rêver ! A moins de man­quer ? Sans doute n’ai-je pas man­qué… Je me sou­viens seule­ment que je vou­lais deve­nir avia­teur. Le ciel me fas­ci­nait. Quand ma mère était loin, dans un sana­to­rium où elle allait peut-être mou­rir, c’est au ciel que j’envoyais mes prières. Je les posais sur ma paume et souf­flais des­sus, pour qu’elles s’envolent jusqu’à elle. Peut-être faut-il asso­cier à mon goût pour le ciel l’« auto­nyme » que je me suis choisi, pour rem­pla­cer mon patro­nyme : Lair.
Je me sou­viens mieux de mes rêves d’adolescent, et je trouve que j’ai été fidèle à moi-même. Selon l’antique for­mule, je suis devenu ce que j’étais. Écri­ture, psy­cha­na­lyse, mar­xisme : tel était mon pro­gramme, et dans cet ordre. Aujourd’hui, j’ai une qua­ran­taine de titres à mon actif (sous deux noms). J’ai pra­ti­qué la psy­cha­na­lyse. Après avoir tâté des trots­kistes puis des socia­listes, je me suis dit qu’il fal­lait que je milite là où j’étais le plus ins­crit : j’ai créé le Comité des auteurs en lutte contre le racket de l’édition, j’ai été actif au SELF (syn­di­cat des écri­vains de langue fran­çaise), à l’Union des écri­vains, je suis élu au Comité de la SGDL (Société des gens de lettres). Donc, je rem­plis mon contrat !

A quoi avez-vous renoncé ?
Ma pre­mière réac­tion serait de répondre : à pas grand-chose ! Je n’ai pas tran­sigé sur mes désirs. Mais je les ai réa­li­sés au tra­vers de détours, d’atermoiements. Je n’ai pas perdu le fil, mais j’ai pris du retard !
Ma seconde réac­tion : j’ai du renon­cer à l’amour… À une manière d’amour pas­sion­nel qui me détrui­sait autant qu’elle me fai­sait jouir, et vaga­bon­der de femme en femme… Je dois à la psy­cha­na­lyse d’avoir pris quelque dis­tance avec les amours incestuelles.

D’où venez-vous ?
J’en parle dans un de mes der­niers livres : Aïeux de misère. Curieu­se­ment, je n’ai pas com­mencé, comme tout roman­cier moyen, par jeter ma gourme en réglant mes comptes avec mon enfance, ma famille, mon milieu. J’ai d’abord cher­ché à être ailleurs. Sur le tard, donc, dans mes Aïeux de misère, je reviens sur mes ori­gines sociales, dont j’ai honte d’avoir eu honte. Mes aïeux étaient pro­lé­taires, il y a deux géné­ra­tions ; et plu­tôt mal­trai­tants, il y a une géné­ra­tion.
J’aime le pro­pos de Régis Debray, énoncé je ne sais plus où. On ne peut tirer aucun mérite, disait-il, de ce que l’on a reçu en héri­tage. Autre­ment dit, ce qui compte ce n’est pas d’où l’on vient mais où l’on va ; ce que l’on a créé de soi-même, pour peu que l’on puisse par­tir de rien… Fan­tasme un peu méga­lo­ma­niaque, je l’accorde. Disons : ce qui compte, c’est ce que l’on réus­sit à bâtir à par­tir de. À jouir de ses divi­dendes on ne trouve que peu d’intérêt…

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Rien, je crois. Si dot il y a, je m’en suis emparé, je ne l’ai pas reçue.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
J’ai tou­jours cher­ché à sau­ve­gar­der un temps pour le tra­vail d’écriture. Sala­rié, il m’est arrivé de l’être, je n’ai jamais concédé plus que trois quarts de temps au tri­pal­lium. Mais je n’écrivais pas pour autant… Je connais des amis qui ont une vie pro­fes­sion­nelle plus que pleine, mais se lèvent tous les matins à quatre ou cinq heures pour écrire. L’un d’eux a cru bon de s’arrêter, après un prix lit­té­raire et des ventes qui lui avaient assuré un mate­las. Au bout d’un an, il est retourné au turf : il ne fai­sait rien de son temps « libre ».
Je crois qu’il est bon pour un écri­vain d’avoir un autre tra­vail – excepté celui d’enseignant, qui trouble la créa­tion, et créée une caste de cri­tiques et d’exégètes plu­tôt néfaste. Imagine-t-on Proust, Joyce, Beckett, Claude Simon à l’université ?

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le détail du quo­ti­dien devrait être une suite de petits plai­sirs. Il l’est sou­vent pour moi, je réus­sis à m’entourer de sources de plai­sirs (plantes, livres, objets… il faut que tout soit beau et cha­leu­reux, mais sans luxe déclaré ni affé­te­rie).
Lorsque je les ai visi­tées, les cel­lules des moines de La Char­treuse, près de Gre­noble, m’ont paru le cadre idéal pour ce genre de bon­heurs. Ima­gi­nez : un lutrin face à la fenêtre, don­nant sur la bande de terre enca­drée de murs qui sert de jar­din. La vue n’est pas arrê­tée pour autant car le ter­rain des­cend en pente douce. Der­rière soi le lit, si aisé­ment acces­sible, et une petite pièce atte­nante, le bûcher où cas­ser son bois. Rien d’autre.
C’est donc dans une vie réglée que je trouve ces petits plai­sirs. Un des plus grands : allongé sur mon trône (un simple canapé), tel Sar­da­na­pale, je fume un cigare, un peu cassé par le tabac, embrumé…

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Artiste me parait un gros mot. Je pré­fère : écri­ve­ron, qui rime avec tâche­ron. On dit par­fois que je suis « rare ». Ce que j’en entends, c’est que je ne par­tage guère les évi­dences de mes congé­nères. Peut-être à cause de mes attaches pro­lé­taires ? Je n’ai pas la même vision du monde. Je ne suis ni libé­ral ni de la gauche décla­rée. J’ai une atten­tion pous­sée pour ce qui relève de l’inconscient, alors que pour trop de gens (dont la plu­part des écri­vains), ce n’est que « de la psy ». Dans mes textes, j’ignore la pudeur. Aussi : je suis perçu comme trop sexuel ; c’est-à-dire por­no­graphe. En bref : je n’ai pas bon goût ! (Soit cette somme de règles impli­cites qui per­mettent de savoir qu’on est bien entre soi).
S’il reste un domaine où je tiens à être inté­gra­le­ment libre, quelles qu’en soient les consé­quences, c’est bien l’écriture. Je tiens à n’y faire aucune conces­sion. Alors que nombre d’écrivains cherchent à devi­ner à quelle com­mande non for­mu­lée, mais dans l’air du temps, ils pour­raient répondre : à trou­ver un beau sujet qui tou­che­rait le plus grand nombre… Quand je vois des connais­sances « faire l’artiste », pen­ser à faire leur trou dans le monde des lettres, de façon déli­bé­rée ou non, cela m’exaspère…
Trop sou­vent, je sens entre moi et les lec­teurs, les édi­teurs, comme une infran­chis­sable paroi de verre… mais pas tou­jours ! C’est alors un bon­heur intégral.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
À cinq ans, au cinéma, un court métrage : la vague qui se retire et revient sur la plage. Pour illus­trer Les feuilles mortes, sans doute chan­tée par Yves Mon­tand. Une douce nos­tal­gie m’étreint… pour­tant j’ai tout ce qu’il me faut ? Je suis sur les genoux de ma mère ; plus exac­te­ment : au creux de ses cuisses.

Et votre pre­mière lec­ture ?

Je ne crois pas avoir retrouvé l’intensité de lec­ture de mes huit ans. Les livres de la biblio­thèque verte levaient des mondes entiers, éveillaient une finesse de sen­sa­tion jusqu’alors incon­nue… Croc blanc, Le der­nier des mohi­cans… soit ce que tout le monde (du moins parmi les gar­çons) a lu… Et aussi, trop tôt, à douze ans, La char­treuse de Parme : là encore, une déli­ca­tesse de sen­ti­ments et de pen­sées que je res­sen­tais sans bien comprendre…

Com­ment pourriez-vous défi­nir votre tra­vail sur le tra­vail du faire et du défaire à l’œuvre dans votre œuvre ?
Ado­les­cent, je pen­sais que l’instrument d’écriture, c’était moi-même. Il fal­lait donc que je le forge : que je me refasse entiè­re­ment. Le reste vien­drait ensuite natu­rel­le­ment.
En poé­sie, j’ai mis long­temps à défaire le dis­cours éta­bli qui m’enfermait. J’ai cher­ché à trou­ver ce que j’appelle le gali­ma­tias ; soit le sous-discours qui coule en flux continu sous le lan­gage bien tem­péré néces­saire à l’échange social, un avant-langage qui, comme le rêve, fait feu de tout bois, ignore le beau et le décent, et livre­rait le men­tal tel qu’en lui-même. Cela demande de se défaire de soi, et d’écouter ce qui vient…
Quand tout va bien, cela sort tout seul, j’hésite ensuite à modi­fier ce qui est ainsi pro­duit. Juste quelques pon­çages… sou­vent aussi d’infinis pon­çages, pour éclai­rer le rythme, notam­ment. Puis vient la déci­sion d’arrêter ; de lais­ser tom­ber. C’est comme c’est, tant pis. Un de mes défauts : j’aime la rapi­dité, je passe vite à autre chose. Le manus­crit dort, oublié dans un tiroir, et par­fois dans un livre.
Dans ce qu’il est convenu d’appeler la prose, au moment de la relec­ture des épreuves, j’ai peu de remords, je suis en géné­ral d’accord avec mon texte. J’y vois le signe d’un tra­vail déjà bien accom­pli, avant de rendre ma copie.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis en train de réécou­ter The­lo­nious Monk. Je me suis rap­pelé m’être dit, il y a long­temps, que je vou­drais écrire des poèmes comme il joue. Je suis en train d’écrire un recueil sur le sujet. Sinon du jazz le plus sou­vent. Ado­les­cent, je devais me sen­tir noir : la musique clas­sique était pour les blancs, la chan­son­nette pour le vul­gaire, le rock pour les sim­plets… Depuis, Bach infi­ni­ment, la musique baroque… J’écoute peu de musique

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Tous les livres de Claude Simon. Proust aussi, dont il vient.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je pleure faci­le­ment quand un film me fait retrou­ver une ten­dresse, une bonté que j’estime si rare chez les humains.
Paris Texas, de Wim Wen­ders, m’a fait plus que pleu­rer : j’y retrou­vai telle quelle la déré­lic­tion que je vivais.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Regardez-vous dans un miroir, les yeux dans les yeux, et vous y ver­rez un trou sans fond et sans signi­fi­ca­tion. Donc, je ne me regarde guère, sinon sur un mode ins­tru­men­tal : ventre, graisse, lon­gueur des che­veux… D’un coup d’œil je véri­fie que tout est en ordre (à peu près), et basta !
Il m’est arrivé d’y devi­ner mon corps ima­gi­naire. Pas le corps dit réel, mais l’autre, le vécu, plus ou moins incons­cient. Je me sou­viens avoir entra­perçu une sorte de pou­let, monté sur deux pilons, sans épaules, avec des moi­gnons en guise d’ailes.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Aucune idée ! Est-ce arrivé ? Peut-être ne m’en suis-je même pas for­mulé le désir ?

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Inde est mon lieu ori­gi­nel. On peut y avoir la peau noire, les traits aqui­lins et les che­veux raides : être d’une race anté­rieure, et com­mune. Kochi, Madras, Madu­rai. Leurs temples-villes, les pierres pati­nées par des géné­ra­tions. Les odeurs fétides ; la pau­vreté écla­tante et joyeuse, que les regards démentent. À trois ans, un petit indien a déjà tout com­pris de la dureté de vivre, l’humanité de son regard montre qu’il en a acquis l’intelligence.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
D’aucun. Je ne connais pas le sen­ti­ment de proxi­mité. Je ne peux pas dire de ceux que j’aime qu’ils me sont proches. Sont-ils trop « grands » pour moi ?

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je n’aime pas les anni­ver­saires ; sur­tout les miens. Une année, ma com­pagne m’a offert le saxo­phone que je n’osais pas m’acheter, je crai­gnais que ce soit un caprice. Je voyais déjà l’instrument posé dans un coin, à titre seule­ment déco­ra­tif. Mais non, j’en joue ! Je souffle ! Je crois que c’est le plus beau cadeau qu’on ne m’ait jamais fait.

Que défendez-vous ?
La ques­tion appelle les grands mots creux : la liberté, pour moi et pour les autres. À cinq ans, ma devise était « cha­cun comme y veut ».
J’ai un compte à régler. Au nom de mes ancêtres qui ont crevé la faim. Mais ils s’en fichent, je le crains. Et il n’est pas cer­tain qu’ils le méritent.
Plus pro­saï­que­ment, mais concrè­te­ment, j’ai défini mon petit pré carré : je défends les écri­vains, je par­ti­cipe aux luttes (je trouve ce mot quelque peu gran­di­lo­quent) visant à défendre leur condi­tion. Je l’ai évo­qué plus haut.
Et aussi : j’écris (sous un autre nom) des livres pour défendre la psy­cha­na­lyse, qui me semble être un des der­niers bas­tions à recon­naître les sujets en tant que sujets sin­gu­liers, et créa­teurs d’eux-mêmes (dans le fond, tout le credo démo­cra­tique – rien à voir avec le libé­ra­lisme). Ce qui m’a amené à écrire trois livres pour ten­ter de désos­ser la jouis­sance, la per­ver­sion capitaliste.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Phrase bien connue, ses nom­breux exé­gètes expli­quant cha­cun ce que Lacan a vrai­ment voulu dire… le savait-il lui-même ? Disons, som­mai­re­ment, qu’on veut trou­ver chez l’aimé(e) le phal­lus, la vérité et la jouis­sance abso­lue… vis-à-vis de quoi on ne serait rien. Notre nar­cis­sisme étant siphonné par la gran­deur, l’absoluité de l’aimé(e). La haine est donc enfant de l’amour, car une telle dis­sy­mé­trie est insup­por­table ! Mais il s’agit là de la pas­sion, plu­tôt que l’amour. Il me paraît néces­saire de faire ce dis­tin­guo que ni Freud ni Lacan ne sou­tiennent.
Sauf à se gaver d’illusion, on finit par se rendre à l’évidence : ce que l’autre croit trou­ver en soi, on ne l’a pas… Arrive le moment où il faut choi­sir : faire du théâtre, ou accep­ter de man­quer de ce que l’autre demande (pour le refu­ser s’il le trouve). Accep­ter son manque à être l’absolu de l’Homme, de la Femme peut ouvrir une chance d’aimer, une fois que la pas­sion trouve à se cal­mer.
En tout cas, il n’y a rien de com­plé­men­taire entre les sexes. L’un ne rem­plit pas l’autre, vices et versa com­pris. Ce qu’il y a de mer­veilleux dans l’amour, c’est que l’autre res­tera tou­jours radi­ca­le­ment étran­ger. Le collé-collé fusion­nel est donc impos­sible. Ouf ! On vient de rater l’inceste, qui est le moteur de la pas­sion. Le coup de foudre ouvre tou­jours la croyance (incons­ciente) que l’inceste irréa­lisé de l’enfance va enfin être perpétré.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Quand on parle d’inceste… on voit sur­gir W. Allen, époux de sa belle-fille… au bout de com­bien d’années de psy­cha­na­lyse ?
Donc : d’abord la pul­sion du oui, mon désir d’abord… quelqu’un d’autre que moi me deman­dait quelque chose ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Je ne suis pas Nietzsche, hélas, pour vous sug­gé­rer : pour­quoi écrivez-vous de si bons livres ?
Plus sérieu­se­ment : pour­quoi n’arrêtez-vous pas d’écrire ? Voilà une ques­tion que, sérieu­se­ment, tout écri­vant devrait se poser. Un maniaque de la lit­té­ra­ture, Enrique Vila-Matas, énonce des pro­pos dro­la­tiques et pro­fonds sur le sujet.
Sérieu­se­ment tou­jours : écrire, vrai­ment écrire, devrait viser à ne plus écrire (quel dom­mage !).
Cette ques­tion sug­gère une autre ques­tion (à évi­ter parce qu’inévitable) : pour­quoi écrivez-vous ? Voilà ma réponse.
J’ai l’image claire de mon père dans un rond de lumière, la nuit. Il écrit dans un grand livre. J’ai quatre ans, ma mère est loin, dans un sana­to­rium, nous vivons chez mes grands-parents. À seize ans, je passe une nuit blanche à écrire mon jour­nal. Une de ces nuits de révé­la­tion où brillent les ultimes véri­tés. Exac­te­ment à la même place, sous le fais­ceau du même lam­pa­daire.
J’ai plus de trente ans lorsque je recons­ti­tue ce sce­na­rio. Mani­fes­te­ment, je dois mon goût d’écrire à un trait d’identification infan­tile : deve­nir un homme, comme mon père, c’est écrire dans la nuit à une absente aimée. Ce trait est déter­mi­nant : voilà pour­quoi il me faut écrire pour être. Et absurde : mon père était comp­table, c’étaient des chiffres qu’il ali­gnait. Au prix d’un qui­pro­quo, j’en ai fait des lettres. N’importe quelles lettres : j’ai pris plai­sir à écrire des poèmes, des pro­po­si­tions com­mer­ciales, des jour­naux d’entreprise, des romans, des docu­ments péda­go­giques, des essais… J’apprécie cette poly­gra­phie (que j’exagère un peu ?), elle me per­met de remettre à leur place les reli­gions lit­té­raires et leurs prophètes.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, avril 2014.

2 Comments

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2 Responses to Les dissolutions de continuité de Mathias Lair : entretien avec le poète et l’écrivain

  1. Villeneuve

    Parmi moult entre­tiens menés par JPGP voici le pre­mier dont les réponses non suc­cinctes mais éclai­rées d’humanité , culture et vérité sont dignes de l’inimitable poète écri­vain Mathias Lair que j’admire intensément .

  2. huttin

    cher Jean– Paul Gavard– Per­ret , vous avez ecrit
    une des plus belles cri­tiques que j’ ai reçue ( Paris, Lita­nie des cafés)
    j’aimerais vous adres­ser mon plus récent livre
    “une petite lettre à votre mère ” paru aux édi­tions du Préau des col­lines et dont Mathias Lair a été un des pre­miers lecteurs

    où puis je vous l’adresser ?

    bien cor­dia­le­ment
    gene­viève huttin

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