Blow-up , Antonioni’s classic film and photography

Anto­nioni : l’image autrement

S’il fal­lait remettre la Palme d’Or des Palmes d’Or à un des films qui les a reçues, elle serait accor­dée sans nul doute à celui d’Antonioni, « Blow-up » primé en 1966. Sif­flé par la par­tie d’une cri­tique inter­lo­quée tant il déro­geait aux canons de l’époque, il est devenu un film culte fai­sant de l’image non son objet mais son sujet. Le film met en cause les pièges du visuel comme ceux du visible. Leur inter­ac­tion à la fois nie et ren­force la fonc­tion de l’imaginaire en prou­vant — par la seule beauté de ce que Barthes nomma le fil­mique – qu’il n’a pas la fonc­tion de l’irréel. La fameuse scène ter­mi­nale où le héros au bord d’un néant exis­ten­tiel accepte de jouer une par­tie de ten­nis avec une balle invi­sible l’illustre de manière abso­lue.
Blow-up  fait tom­ber l’image-voile du fétiche au pro­fit d’une image déchi­rure qui ça et là laisse fuser un éclat de réel comme lors du quasi-viol de deux ravis­santes appren­ties man­ne­quins et grou­pies (incar­nées par les débu­tants Gil­lian Hills et Jane Bir­kin) prises et éprises d’un jeu dont elles deviennent les vic­times consen­tantes. L’image s’affirme sou­dain comme « n’étant pas toute » en insis­tant sou­vent sur les temps morts. Dans l’enquête filée (sujet aussi cen­tral que par­tiel du film), elle est sur­face de mécon­nais­sance atteinte par une lame de connais­sance dans la mesure où le spé­cia­liste (pho­to­graphe pro­fes­sion­nel) qui s’y attache en veut faire une « épreuve » de vérité mais dont l’épiphanie sera de fait neutralisée.

Le film ne sera donc que l’entrouverture d’un savoir par l’entremise d’un moment de voir. Blow-up n’offrira néan­moins ni miracle, ni répit. Tout res­tera « en l’état », un état absurde dans l’interminable approche d’évènements mais non de leur cer­ti­tude. Images-archives, images-apparences coha­bitent dans la quête à la fois d’images-fêtes et d’images-faits. Tout sera fina­le­ment rabattu dans une néga­tion à l’exception de ce qui fait la force de ces images et du film : la puis­sance esthé­tique. Elle traite sous un angle neuf pour l’époque la per­ver­sion (fan­tas­ma­tique) du fétiche (de la mode ou à l’inverse de la pau­vreté) et de la per­ver­sité de la preuve dont l’attestation demeu­rera de l’ordre du rejet.
Dans une rigueur par­faite, Anto­nioni a tou­ché à un moment de grâce rare. Il prouve sans le moindre pen­sum com­bien est demandé trop et trop peu à l’image dont l’usager veut faire une ser­vi­tude qui ne peut que lui échap­per. Mon­trant le simu­lacre et sa fabri­ca­tion, le réa­li­sa­teur anti­ci­pait sur tout ce qui hante l’esthétique du temps dans la dimen­sion magique d’un film (presque) silen­cieux et porté uni­que­ment par le bruit du vent, des rues et les musiques qu’écoutent les protagonistes.

Face à tous les pon­cifs (même ceux qui ont lar­ge­ment pignon sur rue aujourd’hui), l’image-méduse n’est plus l’instrument d’une fuite devant le réel. Elle n’est pas une cou­ver­ture. Il ne faut donc pas fuir cette Méduse mais l’affronter. L’affronter mal­gré tout. Tout en connais­sant ses ruses, ses armes et sa séduc­tion. Anto­nioni rap­pelle qu’il faut regar­der autre­ment celle qui nous regarde. Qui ne regarde que nous.

jean-paul gavard-perret

Blow-up, Antonioni’s clas­sic film and pho­to­gra­phy, Edi­tion de Wal­ter Moser et Klaus Albrecht Schrö­der, Hatje Cantz, 2014, 224 p. - 39,80 €.

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Filed under Beaux livres, Chapeau bas, cinéma

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