Là où l’eau continue d’avancer
Plonger dans les « Carnets » (2000–2023) de Dezeuze est une mine et un puits de “science”. Et c’est la preuve que son écriture au quotidien est autant intéressant que son art. Ses mots permettent ainsi et entre autres à Fluxus comme à Supports-Surfaces de n’être pas voués en rien au relativisme.
L’auteur est ici artiste et funambule. Pour preuve, « A-t-on besoin de la terre ferme avant (ou après) s’être lancé du trapèze ? » dit-il. Et pour lui, changer d’agrès vaut manière de retenir la peinture par son écriture. Il se permet à son usage un certain pittoresque “(pintoresco)” des faits, des spéculations voire d’une utopie (sa profondeur cachée).
Pas question pour lui de se couper la langue. Certes, il caresse une modestie : « J’écris pour moi », avoue-t-il, en surface et sur un tel support. Mais le voici magicien : la “chansonnette artistique avec ses doutes métaphysiques” qu’il connaît chez lui et chez les autres, il la pratique dans ses diverses capacités. Bref, l’écriture – comme l’art – reste les (si bonnes) maladies dont on ne guérit pas.
Dezeuze met son énergie au service d’une expression et d’une technique plastiques. Les deux sont les servantes de vibrations. Et il n’en finit jamais. Pour preuve, ces notes sont ici un passage là où l’eau, aussi, continue d’avancer. Avec leur publication, il marque point par point des éléments picturaux (parfois avec de profondes similitudes) sans recours à l’harmonie naturelle mais plastique.
Cette dernière, il la pratique en modulations et humour pour ouvrir le regard (et la lecture) à des connaissances distinctes. Certes, ses enchères sont inconstantes à la raison : il existe donc chez lui un attachement revendiqué aux théories soumises à une certaine relâche. Toutefois, nous pouvons rapprocher ici le créateur de la théorie (cartésienne) de ses passions. Preuve de fait que, physiquement, ce que Dezeuze invente consiste à provoquer des émotions et sentiments mais aussi l’intelligence et la méditation selon ses « médiations », remparts contre certains chaos et confirmations d’un parti pris de l’art et de l’écriture. Les deux chez lui s’ordonnent au fil de son eau et ses bons tonneaux.
jean-paul gavard-perret
Daniel Dezeuze, Journal au bord de l’eau, Tarabuste, Saint Benoit de Sault, 2024, 216 p. — 16,00 €.