Une plongée passionnante dans le virtualium… mais avec peu d’oxygène
Développé en 2018 et sorti en 2021, par Anshar Studio, un studio polonais qui a, très notablement, été sollicité pour son expertise en co-développement par l’excellent Larian Studios lors du développement de Divinity : Original Sin 2 et celui du désormais cultissime Baldur’s Gate 3, Gamedec est l’adaptation vidéoludique du recueil de nouvelles éponyme de l’auteur de science-fiction Marcin Przybyłek.
Financé par une campagne Kickstarter, Gamedec est un RPG en 2D isométrique, centré sur la narration via des enquêtes, dans un univers cyberpunk futuriste où l’action se déroule dans une Varsovie du XXIIe siècle. La structure de la ville matérialise les différences de classes, les pauvres étant relayés dans les quartiers inférieurs, les riches se réfugiant dans les hauteurs. La publicité est bien sûr constante et les jeux vidéo n’échappent pas au matraquage financier du capitalisme. Vous y incarnez un Gamedec, mot valise de “game detective” ; soit un détective privé spécialisé sur des enquêtes qui se déroulent à l’intérieur des jeux vidéo, considérant que, dans le futur, le monde virtuel, appelé “virtualium”, concurrence la réalité, appelée “realium”.
Si ce style de jeu est très dirigiste dans le level design, en revanche, il offre une expérience narrative immersive appréciable. Là encore, oubliez les combats, car il n’y a aucun mob, ni aucun boss, à combattre et vos compétences ne serviront qu’à débloquer des lignes de dialogues particulières, utiles à la résolution de vos enquêtes. Comme dans tous jeux de ce type, les décisions personnelles ont une influence sur le déroulement de la narration et conditionneront l’une des six fins parmi lesquelles vous pourrez choisir.
Le monde imaginé par Marcin Przybyłek est bien conçu et bien retransmis par Anshar Studio, ce qui n’est pas une mince affaire si l’on en juge par la complexité qu’ont souvent les œuvres de science-fiction. Il est en effet difficile de retranscrire de manière ludique et engageante des concepts futuristes liés à un monde imaginaire. Heureusement, les interactions possibles avec les divers PNJ rendront le lore intelligible de manière plus concrète. Et si, toutefois, certains termes ou personnages restent un peu trop cryptiques, vous disposez d’un codex qui compile un lexique et une présentation des différents PNJ, ainsi que quelques informations utiles pour vos hypothèses de détective.
Le système de jauge conversationnelle pour déverrouiller des indices, soit à la manière forte, soit à la manière empathique, est plutôt bien trouvé, même s’il est difficile de savoir si ce que l’on va dire va susciter chez les PNJ des émotions négatives ou positives, si bien que cela oblige le joueur à bien réfléchir avant de parler, ce qui est cohérent et réaliste considérant le rôle que vous endossez à ce moment : un enquêteur durant un interrogatoire. Toutefois, que vous sélectionniez la manière “bon flic” ou “mauvais flic”, les indices pourront être déverrouillés et pourront avoir une incidence sur la prise de décision du PNJ et donc, sur les fins possibles.
Ce monde de mises en abyme vidéoludique est donc audacieux et intéressant, non seulement pour ses particularités futuristes crédibles, mais également pour sa critique des sociétés capitalistes et des horreurs sociales auxquelles elles peuvent aboutir, et surtout pour la découverte de personnages qui, parfois, pourront vous émouvoir. La révélation finale, même si on en comprend rapidement l’un des ressorts, reste surprenante dans son détail et intéressante pour les possibilités réelles d’évolution des jeux vidéo.
Les mystères, néanmoins, ne s’avèrent guère mystérieux passé quelques dialogues, et la recherche d’indices supplémentaires semble parfois superflue et peut s’avérer frustrante, car certains indices seront verrouillés par des lignes de dialogue qui ne correspondent pas aux compétences que vous avez choisies de développer. Vous pouvez toujours recommencer une partie en sélectionnant un autre arc de compétences, mais, d’abord, vous connaissez le fin mot de l’histoire, ce n’est donc plus aussi palpitant qu’avant, et ensuite, les différences de scénarios restent très maigres en cours de partie. En outre, les dialogues sont plutôt pauvres, limités et sans changement très notable si vous choisissez un personnage aux compétences différentes de votre première partie.
C’est ce qui explique également une faible durée de jeu (comptez 20 à 30 heures de jeu) ; défaut auquel le studio a tenté de pallier en implémentant gratuitement une quête supplémentaire (Cthulhu) et un petit DLC (Seven Daemons) très satisfaisant. Le studio a également offert la possibilité d’incarner de nouveaux personnages, mais la sensation de nouveauté se borne au skin et aux trois lignes biographiques de ces nouveaux personnages, puisqu’ils ne semblent pas impacter de manière notable le déroulement du jeu.
Si les graphismes sont beaux et réussis, ne vous attendez pas à des différences de gameplay réelles entre les différents jeux dans lesquels vous vous rendrez : seuls l’ATH et l’atmosphère changent et ne restent que du cosmétique. Enfin, la bande sonore n’a rien de mémorable.
Mais, le pire point de frustration est le système de compétences fondé sur quatre caractéristiques psychologiques (l’empathie, la raison, la logique et la passion). Celui-ci est mal conçu en ce qu’il est injustement dirigiste. En parlant avec des PNJ, vous collectez des points, parmi ces quatre caractéristiques psychologiques, qui vous permettront ensuite d’acheter des compétences. Le problème, c’est que les compétences exigent un à plusieurs points dans trois de ces caractéristiques psychologiques. Or, si vous jouez avec honnêteté, sans vous préoccuper de savoir ce que vous devez répondre pour avoir un point dans tel ou tel domaine psychologique particulier, vous allez très vite vous retrouver à collectionner une dizaine de points dans une seule et même catégorie psychologique. Donc, ces points seront inutilisables, car vous ne pourrez acheter aucune nouvelle compétence susceptible de débloquer des lignes de dialogues particulières.
Ce système oblige ainsi le joueur à agir avec intérêt, en réfléchissant à la réponse qui lui garantira un point dans telle ou telle catégorie requise pour acheter la compétence. Pour dire autrement, ce système peut être très frustrant, soit parce qu’il est punitif si on joue avec le cœur, soit parce qu’il nous oblige à être malhonnête avec soi-même dans le but d’obtenir tel ou tel point.
On notera enfin plusieurs erreurs de traduction et d’adaptation en langue française.
Pour résumer, Gamedec est un bon jeu qui avait tout pour devenir un chef-d’œuvre, si le développement avait été plus long, si la conception narrative avait été plus riche et plus profonde, si les enquêtes avaient été plus travaillées avec de vrais dilemmes moraux dignes d’un Wasteland, avec des conséquences encore plus impactantes et des trames narratives plus diverses, si l’arbre de compétences avait été mieux réalisé et plus réfléchi…
En somme, si le studio avait eu un budget de développement plus important, sans doute. Et puis, pourquoi ne pas avoir tout simplement mis Marcin Przybyłek aux commandes de la narration ?? Avoir de vrais écrivains dans les équipes de développement serait un véritable atout pour les jeux vidéo, surtout lorsqu’ils se veulent narratifs. On espère donc qu’Anshar Studio pourra continuer de développer des jeux avec de meilleurs moyens et de plus grandes ambitions.
sophie bonin