Sylvain Ferret, Mémoires de Gris

Un inac­ces­sible rêve de liberté

Le nom de la pro­vince est à l’image de son atmo­sphère, de son cli­mat et des thèmes abor­dés dans cette his­toire. La déno­mi­na­tion des lieux vient ajou­ter de la moro­sité à l’ambiance terne, morne volon­tai­re­ment rete­nue par le des­si­na­teur. L’ambiance, dans le domaine, est à l’image de celle du cli­mat, une moro­sité constante.
Syl­vain Fer­ret exclut tout mani­chéisme et pré­sente les uns et les autres avec des per­son­na­li­tés ambigües. Per­sonne n’est réel­le­ment valeu­reux, ni spé­cia­le­ment immonde. Certes, la noblesse est arro­gante, pétrie de vio­lence, et le clergé n’est pas là pour reva­lo­ri­ser le concept de cha­rité, mais ils par­ti­cipent à des actions qui relèvent un peu leur dignité. Une reli­gieuse, proche de ceux qui souffrent, ne dit-elle pas : “Même au sein de l’église, le pou­voir monte à la tête des hommes.

Le père de Blanche entraîne sa fille pour appor­ter des offrandes à Dame Marion, une démarche qui se ter­mine mal.
Dans le domaine de Val-de-Brume, un homme blessé est étendu sur une table et les rémi­nis­cences d’événements quand lui et Marion étaient enfants. Ils fuyaient le châ­teau, lui les cours de son pré­cep­teur, le père de son amie. Déjà Pierre vou­drait par­tir et par­tir avec elle. Mais ils sont rat­tra­pés par son père, le sei­gneur des lieux, un homme très violent qui traîne der­rière son che­val le ser­vi­teur qui avait la charge de gar­der les enfants.
C’est la Croi­sade qui lui donne l’occasion de s’affranchir de ce qu’il consi­dère comme sa pri­son. Et c’est de cette croi­sade qu’il est ramené par Will, un che­va­lier, sept plus tard, cri­blé de flèches. Son père oblige Marion à le soi­gner et à le gué­rir.
Mais bien des choses ont changé, son père a vieilli, il n’a rien payé des taxes qu’il devait à la Pro­vince de Gris. Et Marion est très dis­tante. Pierre va mettre son épée au ser­vice du Bailli car la pro­vince de Gris est mena­cée d’invasions. De plus la colère gronde dans le peuple écrasé d’impôts.

Explo­rant un conte moyen­âgeux, l’auteur met en scène un récit noir à sou­hait. Il ne laisse espé­rer que peu d’espoir en une vie meilleure pour tous les acteurs du drame. Il fait émer­ger, dans l’immense forêt qui jouxte le domaine de Pierre-de-Brume, une popu­la­tion qui se révolte et qui, à la manière de Robin des Bois, pille les convois pour en redis­tri­buer le contenu. Il asso­cie dans son intrigue des tra­gé­dies fami­liales, des luttes pour le pou­voir et une riva­lité amou­reuse.
Il faut entrer dans l’histoire, ne pas se lais­ser dérou­ter par les pre­mières planches qui plantent les pré­mices des enjeux qui vont inter­agir. Plu­sieurs intrigues s’entrecroisent ou se tan­gentent. Et c’est, dans ce décor médié­val, le par­cours de deux per­sonnes éprises de liberté, empri­son­nées dans le cadre rigide de conventions.

Avec un trait pré­cis, Fer­ret dresse une gale­rie four­nie en per­son­nages dont il faut obser­ver les détails pour les iden­ti­fier. Il mul­ti­plie les fla­sh­backs, même au sein d’une planche allant jusqu’à alter­ner chaque vignette entre pré­sent et passé.
Avec cet album qui dénonce la vio­lence sous toutes ses formes, Syl­vain Fer­ret offre un conte tra­gique que l’on suit avec un grand intérêt.

serge per­raud

Syl­vain Fer­ret, Mémoires de Gris, Del­court, coll. “Terres de Légendes”, octobre 2024, 240 p. — 29,95 €.

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