Dans les derniers soubresauts de la Collaboration…
Pierre Olivier raconte une enquête menée dans des conditions de crises aigües pour tenter de connaître les raison du meurtre de Jacques Doriot, cette figure majeure de la collaboration.
Le récit débute dans l’île de Mainau, sur la rive sud du lac de Constance, en février 1945. Le narrateur est un lieutenant fraîchement démobilisé pour cause de blessures. En 1941, il s’est engagé dans la Légion des Volontaires pour combattre le bolchévisme. Il fait partie de ces collabos réfugiés autour de Sigmaringen où Pétain a installé son QG.
Pour l’heure, il suit un cours donné par Jean Bouton, un ex-inspecteur de police, sur les règles à respecter dans la clandestinité. Il est intéressé car, sans illusions sur son futur proche, il sait qu’il va se trouver très vite dans cette situation. Soudain un homme arrive et annonce : “Le Chef est mort.” Il s’agit de Jacques Doriot dont la voiture a été mitraillée par un chasseur allié en maraude.
Bouton est chargé d’en savoir plus et il emmène le lieutenant qui parle allemand. Sur place, une présence attire l’attention des deux hommes qui commencent des investigations. Mais dans ce climat de fin de règne où les uns et les autres ne pensent qu’à sauver leur peau…
Ce 22 février 1945, les enquêteurs hésitent entre un mitraillage accidentel et un attentat visant personnellement Doriot. Cet homme a un parcours étonnant. Il a milité pendant de très nombreuses années au Parti communiste, gravissant les échelons, devenant une figure première de ce mouvement. Après son éviction, parce qu’il ne voulait pas n’être qu’un pion de Moscou, il bascule dans l’anticommunisme offensif. Il crée la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, la LVF, et le Parti Populaire Français, le PPF, contre le Front Populaire. Il combat personnellement sous l’uniforme allemand sur le front de l’Est. Les circonstances de sa mort sont l’objet de différents points de vue.
C’est donc dans le microcosme de ce qui reste des tenants de la collaboration avec l’Allemagne nazie que l’auteur installe, de belle manière, une intrigue dans un contexte historique peu connu.
On croise nombre des ténors du gouvernement de Vichy qui espère installer une résistance face à l’avancée des armées alliées. Et on assiste à un retournement de veste de tous ces personnages qui se rapprochent des Américains, de Londres, prêts à tout pour échapper à la prison de Fresnes ou au peloton d’exécution. D’ailleurs, beaucoup vont bénéficier de la “mansuétude” de Charles de Gaulle, qui voulait mettre en avant une France victorieuse et ne pas trop agiter des remugles dans des procès médiatiques.
Le romancier engage son lecteur sur les pas de ce lieutenant dans une quête impossible, dans une recherche hypothétique de la vérité. Il dépeint un individu mené par des convictions, une certaine foi dans ses idées et un rejet du bolchévisme. Et l’auteur de souligner que l’Histoire n’est jamais linéaire, que chaque individu est à la fois un docteur Jekyll et un M. Hyde, selon les circonstances. Les cas abondent dans l’actualité présente.
Ce roman a obtenu le Prix de l’Espionnage 2023.
Magnifique, documenté, ce livre propose une version de la mort de Doriot et met en scène une galerie de personnages riches en bassesses, un héros attachant par son honnêteté vis-à-vis de ses idées, emporté dans une intrigue solide, dense, en tension.
serge perraud
Pierre Olivier, Lorsque tous trahiront, Éditions 10/18 n° 6012, coll. “Polar”, octobre 2024, 192 p. — 8,00 €.