Cet ouvrage attire l’attention avec sa présentation peu commune, un livre tête-bêche qui réunit deux romans. L’un se déroule en Angleterre en 1881, l’autre en Californie en 1939. Et les deux se répondent.
À Londres, en 1881, Simeon Lee, un jeune médecin, veut lutter contre le choléra qui frappe les populations pauvres. Il lui faut de l’argent. Il peut en avoir en allant soigner le pasteur Hawes, le cousin de son père, dans l’Essex. Celui-ci habite la maison Turnglass sur l’île de Ray. Or, une sombre histoire s’y est déroulée il y a deux ans. Lorsqu’il arrive, il trouve le pasteur souffrant et, choquant dans cette bibliothèque, une femme enfermée dans une cage de verre.
Au fil des jours, alors que l’état de santé du prêtre se dégrade, il en apprend un peu plus sur les raisons de cette situation. Simeon est persuadé que Hawes souffre d’un empoisonnement. Mais par qui et comment ?
Á Los Angeles, en 1939, Ken Kourian, qui a quitté sa Géorgie natale, peine à décrocher des rôles. Lorsqu’il rencontre Gloria, celle-ci va l’introduire dans un milieu de pouvoir. Il devient l’ami d’Oliver Tooke, le fils du gouverneur de l’Etat, un écrivain. Celui-ci mène grande vie, mais travaille à un livre. Il vit dans une maison de verre qui porte le nom de Turnglass et souffre de séquelles liées à des événements dramatiques. Il était en fauteuil roulant et son frère a été enlevé. Sa mère est morte quand il était tout jeune.
Alors qu’il est sur le point de faire publier son livre, il meurt dans d’étranges circonstances. Ken, avec Coraline la sœur cadette d’Oliver, va se muer en enquêteur. Et ce qu’ils vont finir par découvrir…
Le romancier confronte ses lecteurs à deux histoires se déroulant à deux époques distantes de près d’un demi-siècle, dans deux pays distincts. Il y a deux possibilités, deux sens de lecture pour un récit à énigme d’une belle tournure. Chaque roman propose une énigme, un empoisonnement, un meurtre, mais le tour de force de l’auteur est d’intégrer des données qui se rejoignent par-delà le temps pour un épilogue limpide.
De surcroît, alors que la lecture de la forme en tête-bêche trouve sa raison dans l’histoire, le romancier disperse tous les indices utiles pour arriver à un dénouement surprenant. Il les place de façon brillante pour peu qu’on leur prête intérêt sachant qu’ils sont inclus dans une narration bien fluide.
Et Gareth Rubin glisse, au détour de paragraphes, quelques remarques, quelques vérités quant à la société actuelle comme celle relative au vote démocratique où le candidat n’est plus choisi pour son intelligence et ses capacités, mais pour des considérations bien indigentes. (Voir aux USA tout dernièrement). Il intègre des notions liées à l’eugénisme, à la lignée à développer. Il faut aussi replacer certaines données dramatiques en fonction de l’époque. Le choix de 1939 n’est pas dû au hasard.
La construction originale de ces deux histoires donne l’impression d’un puzzle où les pièces habilement découpées trouvent leur place au moment adéquat. Cela donne un roman magnifique par son travail remarquable tant sur l’intrigue que sur les personnages et envie de lire d’autres œuvres de ce romancier.
serge perraud
Gareth Rubin, L’énigme de Turnglass (The Turnglass), traduit de l’anglais (États-Unis) par Michael Belano, Éditions 10/18, coll. “Polar”, octobre 2024, 464 p. — 22,00 €.