Nathalie Quintane, Descente de médiums

Etat d’urgence

Il y a des des­centes de médiums comme il y a des des­centes de lit, d’organe ou d’escalier : toutes per­mettent d’éviter que l’être et les condi­tions de son exis­tence se dégradent par le spec­tacle ortho­normé du monde livré à domi­cile pour dis­traire. Les infor­ma­tions s’enchaînent de manière à s’user l’une par l’autre de telle sorte que les res­pon­sa­bi­li­tés sont tou­jours repor­tées ou annu­lées. L’image devient la potion magique capable du décer­ve­lage le plus adé­quat. Les études sont innom­brables pour éclair­cir ce fonc­tion­ne­ment dans les tis­sus neu­ro­lo­giques. Tou­te­fois, l’urgence est de trou­ver la façon de rani­mer une résis­tance à ce qui méprise l’espace men­tal en y semant une sou­mis­sion.
Natha­lie Quin­tane rameute à ce titre de vieilles lunes qui peuvent s’avérer opé­rantes. Certes, ces « expé­riences », sor­tant du ration­nel, ouvrent la porte aux intrus, aux escrocs. L’auteure le sait : ce qui ne l’empêche pas de nous pro­po­ser – non sans luci­dité – un voyage au pays de nos morts. Qu’on le veuille ou non, ils nous parlent. Sans pour autant que les tables tournent où qu’un dieu bien­veillant ou non fasse réfé­rence à eux.

La roman­cière ramène à un sens archéo­lo­gique qui rend fon­da­men­tal le rôle de nos dis­pa­rus sans for­cé­ment sacri­fier à leur culte. Mal­larmé le savait bien : son Igi­tur ne ces­sait de des­cendre et rôder « dans le tom­beau des siens ». Cha­cun devrait faire de même. Car il est naïf de croire se sor­tir de l’asservissement d’un temps où la culture offi­cielle se réduit à une peau de cha­grin sans trou­ver des moyens de s’opposer à l’endormissement audio-visuel et vir­tuel qui détruit tout l’espace de l’intériorité. Sans la prise en compte du cir­cuit ori­gi­nel qui mène du visible à l’invisible, l’être demeure un errant à la Orwell. Il faut donc inter­ro­ger cette dis­po­ni­bi­lité de nos morts qui loin de sus­pendre l’activité du cer­veau le régé­nère contre les neu­tra­li­sa­tions des images défi­lantes et filantes qui dis­si­mulent le réel.
L’expérience de l’antérieur occupe notre cer­veau ; encore faut-il la réani­mer et l’analyser comme le pro­pose Natha­lie Quin­tane à par­tir d’une série de ques­tions résu­mées par l’auteure elle-même : « L’ensemble des morts constitue-t-il un réser­voir où il fait bon pio­cher pour avan­cer sa fic­tion ? Peut-on faire dire tout et n’importe quoi à quelqu’un sous pré­texte qu’il n’est pas là pour rec­ti­fier ? Au-delà, qu’ont à nous dire les morts ? Qu’ont-ils vrai­ment à nous dire ? Qu’ils veulent un bio­pic sur leur vie ? Que les clés sont dans la boîte à gants ? Qu’ils nous aiment ? Qu’on leur fiche enfin la paix ? ». Sans for­cé­ment don­ner de solu­tions, elle montre com­ment la réa­lité tota­li­taire ne laisse pas la moindre marge à l’imagination ni à l’intervention du passé qui ali­mente pour­tant notre incons­cient et nos cir­cuit per­cep­tifs et cognitifs.

L’auteure pro­pose donc de faire le vide d’un trop-plein afin de retrou­ver un autre flux d’images plus naïves et sourdes. Cela demande un effort et fait cou­rir des risques. Mais cette pres­sion ori­gi­nelle per­met de sor­tir de la nuit où nous ne ces­sons de vaquer. Dans une écri­ture jouis­sive et altière, Quin­tane appelle à un cer­tain état d’abandon pour voir le réel selon une sym­bo­li­sa­tion faite de mondes com­plé­men­taires tirés d’une longue his­toire. Face à l’appétit de consom­ma­tion, son écri­ture elle-même devient l’invention d’un savoir où, par delà des effets dis­sua­sifs et popu­laires, il peut s’avérer que le jeu de l’éloignement et du rap­pro­che­ment s’inverse. Face à la myo­pie ambiante, un cer­tain sens du mythe – fût-il drô­la­tique – per­met la déré­gu­la­tion du simple pas­sage de la vue à la repré­sen­ta­tion. Le livre de Quin­tane en consti­tue l’appel. Au regard de l’agression men­tale qui ne passe que par l’œil et l’oreille dans un court-circuit de la pen­sée et de l’imaginaire, l’auteure fait de ce der­nier le plus bel usage.

jean-paul gavard-perret

Natha­lie Quin­tane, Des­cente de médiums, P.O. L, Paris, 192 p. — 14,50 €

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