Jacqueline Merville et l’exercice d’outre-penser — entretien avec l’auteure et artiste ( Avec ses yeux)

Osant la trans­gres­sion des péri­mètres et lut­tant contre les oppres­sions envers les femmes, Jac­que­line Mer­ville méta­mor­phose sa poé­sie en un vaste opus domi­na­teur par ses ten­sions et ses connexions. Femme libre et culti­vée, lucide, volon­taire en une écri­ture de capil­la­rité entre ce qui retient et délivre, elle est deve­nue artiste et poète de la pré­sence, cri­tique.
Son acte d’écriture per­met à l’être de prendre conscience de sa pré­sence. Elle fonde dans la rela­tion un espace par­tagé où il s’agit de vivre la plé­ni­tude par la sai­sie de l’immédiateté du sen­sible comme des « acci­dents » (euphé­mismes) du passé. Elle per­met d’habiter poé­ti­que­ment le monde, ce qui ne l’empêche pas d’accorder toute son impor­tance aux forces de l’inconscient. Chez elle, les conden­sa­tions du sou­ve­nir et les sug­ges­tions du pré­sent et ses lieux s’inscrivent dans une vérité de parole. D’où l’importance d’un tel cor­pus que, et entre autres, son der­nier mais pro­vi­soire livre édi­tion per­met de découvrir.

De l’auteure : Avec ses yeux publié par LansKine.

 

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Ne pas me sou­ve­nir immé­dia­te­ment à mon réveil qu’une autre jour­née com­mence dans un monde où la bar­ba­rie règne.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils res­tent vivants et par­fois se réa­lisent parce que j’ai long­temps vécu loin de l’Europe et donc de mes terres natales, celles broyeuses de mes rêves.

A quoi avez-vous renoncé ?
A rien, sur­tout le moins pos­sible à ma liberté de pen­ser, c’est-à-dire d’être sou­vent à côté des rails.

D’où venez-vous ?
J’ignore si les vies anté­rieures existent, mais je me sens venir d’ailleurs, avec la mémoire d’une autre his­toire ter­restre peut-être.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Le refus de la haine grâce à ma mère et l’amour du plus Vaste que moi-même dont je ne connais pas la source. N’est-ce pas un héri­tage com­mun, héri­tage pié­tiné, occulté, banni ?

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Plus qu’un plai­sir, un besoin vital quo­ti­dien : pen­ser autre­ment, lais­ser aussi venir une autre éner­gie dans mon corps. Res­pi­rer vrai­ment. Lever la tête pour boire un bref ins­tant cosmique.

Com­ment “liez”-vous votre écri­ture et votre tra­vail de plas­ti­cienne ?
C’est une même chose. Mais la pein­ture étant plus phy­sique est aussi para­doxa­le­ment moins fati­gante, moins car­ni­vore si je puis dire, que l’écriture.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Les vitraux et la lumière des bou­gies dans une église.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Un opus­cule de Pas­cal donné par une voi­sine de mes parents.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Selon les périodes, elles dif­fèrent. Mais en écri­vant ou en pei­gnant, je n’écoute pas de musique. Le silence est musi­cal, par­fois bruyant aussi. Pour me relaxer, j’écoute aussi bien la musique d’un game­lan que des chan­sons dites de variété. Je vis avec un musi­cien dont les créa­tions acous­ma­tiques accom­pagnent mes lec­tures publiques. C’est cette musique-là que j’écoute le plus.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le camion » de Mar­gue­rite Duras.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Sur la route de Madison ».

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Beau­coup de visages. Par­fois aucun comme je l’écris dans mon livre Avec ses yeux publié par Lans­Kine. C’est réel, pas une image littéraire.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ecrire une lettre ne me pose jamais de pro­blème, toutes les lettres sont fina­le­ment des bou­teilles jetées à la mer comme le sont les livres.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La mon­tagne jaïne, Sha­trun­jaya, près de Pali­tana dans l’État du Guja­rat. Les jaïns sont le peuple qui pra­tique la non-violence. Le maître de Gandhi fut un jaïn. L’un de leurs pas­seurs de gué fut une femme.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez la plus proche ?
Mar­gue­rite Duras, Anna Akh­ma­tova, Syl­via Plath, Emily Dickin­son, Hilda Doo­lit­tle. Paul Celan. Matisse, Paul Klee, Klimt.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je ne fête pas mes anniversaires.

Que défendez-vous ?
Le droit de vivre, en par­ti­cu­lier celui des femmes face à la bar­ba­rie géné­ra­li­sée, en ce moment les Afghanes dont la voix même est inter­dite, les Ira­niennes qui osent affron­ter les mol­lahs, les Pales­ti­niennes, elles et leurs enfants vic­times d’assassinats sys­té­ma­tiques à Gaza. Et cela en toute impu­nité inter­na­tio­nale. La résis­tance des femmes est la seule échap­pée pos­sible face à la des­truc­tion en cours, pla­nète com­prise. Ma lucarne pour ne pas être désespérée.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Elle ne m’inspire rien du tout. Aimer étant la seule capa­cité humaine qui vaille ainsi que le cou­rage de dire non aux oppressions.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui, mais quelle était la ques­tion ?“
W. Allen s’amuse, il ne sort pas du périmètre.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pensez-vous que l’âme et le sacré ont encore le droit d’exister ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 13 novembre 2024.

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