La Première Guerre mondiale est constituée de tant de combats sur une zone si large qu’il est loisible d’en extraire quelques-uns pour mieux montrer ce qu’elle a pu être pour des millions de jeunes gens jetés en pâture à la Grande Faucheuse. Passionné dès la plus tendre enfance par ce conflit après une visite du site de Verdun à l’âge de neuf ans, Victor Lepointe souhaite exhumer une bataille particulière, quelque peu oubliée, fondue dans la masse.
Il base son récit sur le témoignage de François Tisserand, un chasseur ayant participé à cette bataille. C’est lui qui a donné cette dénomination, cette image sinistre reprise en titre pour l’album. Le Linge est un chaînon montagneux parallèle à la crête principale des Vosges et qui culmine à 1100 mètres. En 1915, l’État-major lance ce qu’il appelle la bataille des observatoires pour conquérir les hauteurs et repousser l’ennemi dans la plaine alsacienne. Ceux qui tiennent les sommets sont en position de force. Ceci n’a pas été compris par le commandement français lors de la bataille de Diên Biên Phu, au Vietnam.
Antoine Granet, un berger de dix-neuf ans, est enrôlé lors de la déclaration de guerre en août 1914 et affecté au 14e bataillon des chasseurs. Après un gros coup de force pendant l’été, il ne se passe plus rien dans le secteur où il est établi, sur les flancs des Vosges. Les soldats ne craignent plus les Allemands mais le froid car ils portent toujours les uniformes d’été.
C’est en juillet 1915 que l’État-major décide d’attaquer. Le bataillon d’Antoine est alors au lac Noir, à dix kilomètres du Linge. Les préparatifs sont impressionnants et c’est pour le 20 juillet que le bataillon se met en marche pour le camp de Wettstein, face au Linge. Les combats se poursuivront jusqu’au 16 octobre 1915.
Se fondant sur une documentation rigoureuse, le scénariste décrit l’état d’esprit des soldats, les opérations préalables à l’attaque puis la boucherie qui s’en suit. C’est un combat dont la portée stratégique est minime, voire nulle au regard du reste du front. Mais il fera, du côté français, environ 3 600 morts et quelque 8 500 blessés. Pour les Allemands, l’estimation porte sur 8 500 hommes dont quelque 2 500 morts et 6 000 blessés.
C’est là que les occupants utiliseront pour la première fois les lance-flammes.
Centré sur son personnage, Victor Lepointe donne un graphisme réaliste, montrant la dureté des combats. Il attribue aux soldats les attributs pileux dont ils sont pourvus et s’attache à l’exactitude quant aux uniformes, accessoires et décors. Le choix de grandes vignettes offre une belle vision des individus, de leurs expressions et du cadre qui les entoure.
Des cartes et des explications permettent de resituer parfaitement le récit dans le contexte historique et géographique. Quelques témoignages, dignes de foi, font référence à un panneau que les Allemands ont posé sur les pentes avec l’inscription Tombeau des chasseurs.
Cet album est une réussite pour sa présentation de la bataille, pour la connaissance de ces jeunes gens qui entrent en enfer, pour l’aspect historique rigoureux.
serge perraud
Victor Lepointe, Le Tombeau des chasseurs, Éditions Bamboo, label “Grand Angle”, septembre 2024, 64 p. — 15,90 €.