Fol de Maximilien Friche : une manière de ne pas tourner maboul dans la camisole de force

Fol de Maxi­mi­lien Friche est un roman d’amour sans doigt dans le der­rière, sans plan gyné­co­lo­gique, sans pros­tate défaillante, sans viol endo­ga­mique et sans dîner aux chan­delles. « Même pas un anu­lin­gus ? » chi­po­te­ront les scep­tiques ! Non, rien que de l’amour sans bave. C’est cela un écri­vain. Cela peut rendre ambi­gus deux petits suisses sur une assiette à des­sert.
Depuis
Nous, amants au bon­heur ne croyant de Mar­cel Moreau, je n’avais rien lu d’aussi cap­ti­vant sur l’amour, cet étui char­nel qui dégou­pille le casier de l’âme. Là, les pas dégour­dis, entas­sés sur eux-mêmes, les timides, les dérou­tés de la zézette à tout prix et les zélotes du chaste bai­ser s’y retrou­ve­ront, loin de toute miè­vre­rie qu’elle soit sen­ti­men­tale ou pornographique. 

Friche nous sur­prend avec ce roman même s’il est tou­jours aux anti­podes des « clowns parmi les clones » et qu’il sait être « d’outre-tombe, cela tombe bien puisque c’est le lieu de l’écriture ». Avec les créa­teurs, « une pro­phé­tie est une fic­tion du futur ». Friche, c’est le Renaud de la fic­tion. C’est Gabin dans Le jour se lève, celui qui a un œil gai et un œil triste. On se pro­mène dans cette ambi­va­lence. C’est Le dia­logue des car­mé­lites affecté à l’impossibilité de l’amour ou plu­tôt le soli­loque des amours confites dont la conserve est expo­sée sur l’étagère roma­nesque mais dont le contenu est inclus dans la tête de Maxi­mi­lien, qui ne la per­dra pas.
Être ren­fermé sur soi-même est la seule venelle vers l’autre. L’amour n’est pas enfant de bohème ; il est la tare des exis­tences banales. Tout est ban­cal dans l’amour, sur­tout lorsqu’un cer­veau tran­chant, telle une feuille de bou­cher, cisèle quelques éclanches « pour les­quelles on a rimé ». Pour un peu, on croi­rait à l’inexistence.

L’ami Friche nous conte le pho­to­type du bien : deux lycéens, se la racontent, sans se la péter. Les ado­les­cents ont tous le sen­ti­ment d’être divin et c’est heu­reux car, bien­tôt sans qu’ils le sachent même s’ils le pré­sument, ils devien­dront de simples dépôts : dépôt de cette divi­nité fan­tas­mée, dépôt de bilan sen­ti­men­tal, par­fois dépôt d’ordures et par­fois hideux dépo­sants. Quand on est jeune, il faut pro­fi­ter de la souf­france gra­tuite. Il faut aimer, sans apprendre à aimer sur­tout qu’on ne « peut pas avoir été élevé aux diver­tis­se­ments de masse et cam­per Roméo et Juliette ». Quand on passe le bac­ca­lau­réat, il faut conchier le monde adulte d’autant que « la mémoire de la plu­part des hommes est un cime­tière aban­donné » selon Your­ce­nar dans Les mémoires d’Hadrien.
Plus tard, au bureau entouré de col­lègues à la con, joyeux et inof­fen­sifs comme la ven­geance et la haine, on fera la gueule au milieu de ceux qui ne « savent pas que c’est nor­mal de faire la gueule au tra­vail ? ». La vie quo­ti­dienne n’a pas de plage horaire pour l’amour ; elle n’en est presque jamais le prête-nom. La vie sociale — ce que les eunuques appellent « l’existence » en pen­sant que la cas­tra­tion n’a pas de rap­port généa­lo­gique avec le fait d’être bien châ­tré — enva­hit tout. « L’existence » n’est pas une vie puisqu’elle méta­mor­phose l’amour en étui fili­forme au fond duquel le papier à ciga­rettes de l’ennui s’étend de tout son long.

La vie n’est pas seule­ment lourde, faute d’amour. Elle est un contre­sens des beaux revers enfan­tins. Pour­tant, Alix et Renaud se sont aimés. Se sont per­dus. Se rever­ront peut-être. « Enlève la femme pour qui brûle ton cœur » nous disait Nietzsche dans Le gai savoir. On n’écoute jamais suf­fi­sam­ment les mous­ta­chus qui deviennent cinoques. On pré­fère le confort de l’inconfort pro­fes­sion­nel, Inter­net où « le zinc s’est méta­stasé dans la toile », la honte d’être soi, puni d’avoir peu ris­qué. On pri­vi­lé­gie le « peu me chaut comme le slo­gan du monde ».
Tou­te­fois, l’amour fut. Il est encore à l’affût. Il suf­fi­rait de se bais­ser. Friche nous l’écrit : « ce n’est pour­tant pas com­pli­qué d’être une femme, il suf­fit d’être inac­ces­sible. Ce n’est pas com­pli­qué d’être un homme, il suf­fit de dési­rer l’inaccessible ». Non, c’est vrai. Rien n’est com­pli­qué. Mais il y a la lésine, la ton­deuse à gazon et la reli­gio­sité cultu­relle qui fait que le cad­die a tout colo­nisé : l’amour, le savoir, les
belles lettres. Tout res­semble à une rédac­tion de troi­sième. « Ils ont tel­le­ment entendu dire que l’écriture était une thé­ra­pie. Les cons. C’est le contraire. L’écriture est une mala­die, un malin plai­sir… (Friche) ne cultive pas de jar­din secret, mais du pathos en place publique ».

L’amour, c’est le sens de la mala­die retrouvé. L’amour, « c’est l’organe de son texte », c’est donc lui, Maximilien/Renaud. J’avais déjà dit que Friche n’était pas un grand écri­vain catho­lique. Un grand écri­vain. Il swingue comme Nabe dans L’âme de Billie Holi­day car « toute inter­pré­ta­tion est une impro­vi­sa­tion. L’improvisation, c’est l’autre nom de l’incarnation, l’inachèvement de la créa­tion ». L’amour prend le temps pour de l’espace. Il nan­tit le temps du néant que l’espace pro­meut lorsqu’il s’abreuve dans le temps. L’amour est spa­tial comme la bêtise est tem­po­relle.
C’est pour­quoi seules les amours sont éter­nelles.
L’amour est sans attente ; il est donc très proche du déses­poir. Dans cette pers­pec­tive, il ne par­ti­cipe pas de la « police de l’imperfection » dans le sens que lui prête Laurent de Sut­ter dans Déce­voir est un plai­sir, à moins qu’il ne soit un art comme le pré­tend Friche. Par­ler d’amour est une des formes de l’art de la décep­tion. En lit­té­ra­ture, plus que dans la vraie vie (si tant que la vraie vie ne soit pas qu’une option lit­té­raire), l’amour rapa­trie sou­vent la niai­se­rie. Avec Friche, il devient la ligne Magi­not, à moi­tié en ruines, du déniaisement.

Au fond, il ne res­tera de nous que ces ins­tants où l’on a aimé. À Plou­gres­cant ou à Tou­louse. En fait, ne cher­chez pas Fol en librai­rie. Il n’est pas encore publié. Coming soon, en 2025, aux édi­tions sans escale. La bande-annonce est une inven­tion très lit­té­raire. En atten­dant, ne lisez rien d’autre. La plu­part des livres ne sont que de la mau­vaise graine, à l’exception notable de Love­craft sou­li­gnant que, « même des plus grandes hor­reurs, l’ironie est rare­ment absente ».

valery molet 

1 Comment

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One Response to Fol de Maximilien Friche : une manière de ne pas tourner maboul dans la camisole de force

  1. Helder Serpa

    et ceux qui sont dépour­vus d’amour comme les aveugles de la vue le sourds de l’audition les culs-de-jatte de la loco­mo­tion? s’agît-il encore d’humains? qels humains agréer, quels humains reje­ter? l’amour, à ce que j’en entends, est-il autre chose qu’un manque, voué à le demeu­rer? mais c’est la ques­tion d’un mutilé de ça.

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